The True Cost – Le véritable coût de la Fast-Fashion [Docu]

The True Cost est un documentaire de 2015 qui dénonce les conséquences sociales et environnemtales dramatiques de la fast fashion, tout en apportant des réponses possibles.

Le documentaire est disponible sur Netflix, et à la location sur le site du documentaire (cf à la fin de l’article pour les liens). Bien qu’il ne soit pas disponible gratuitement, les quelques euros à débourser pour le visionner (ou l’appel à un ami pour ses codes Netflix) valent le coup. Si vous n’avez pas l’envie ou le temps de le visionner, je vous propose ici un petit récap des points importants soulignés par le documentaire.

 

Quelques chiffres

A noter que certains chiffres font référence au marché américain. Cependant, gardons en tête que les habitudes de consommation des Européens ne sont pas drastiquement différentes.

  • 1 travailleur.se sur 6 dans le monde travaillerait de manière directe ou indirecte pour l’industrie de la mode
  • 80 milliards de vêtements sont produits chaque année
  • Un Américain jette en moyenne 37 kilos de textile par an
  • Dans les années 60s, les marques américaines produisaient 95% sur le sol américain. Ce chiffre est passé à 3% aujourd’hui, du fait des délocalisations de la production dans les pays en développement
  • La mode est la 2ème industrie la plus polluante de la planète (après le pétrole)

 

La logique de la fast fashion

En un mot : il faut produire vite et pas cher. Toujours moins cher. Et souvent, pour augmenter les marges, c’est le salaire du travailleur en bout de chaîne qui y passe. Comme le directeur d’une usine au Bangladesh l’explique :

Les marques sont en concurrence. Une marque vient nous voir pour une commande et négocie : « regarde, cette marque vend ce tshirt à 5$, alors je dois le vendre à 4$, il faut que tu réduises ton prix ». Alors on réduit le prix. Puis l’autre marque vient ensuite et dit « cette marque vend à 4$, alors notre cible c’est 3$. Si vous pouvez le faire pour 3$, on vous passe commande, sinon non ». Et parce qu’on veut cette commande et qu’on n’a pas d’autres options, on accepte.*

 

Les coûts de la fast fashion

Si vous achetez une robe à 8 euros, vous la payez certes 8 euros en caisse, mais ce n’est pas son véritable prix. Ce prix très bas ne prend pas en compte ce qu’on appelle les « coûts indirects » liés à la production de ladite robe. Par exemple le coût de la pollution engendrée par les colorants utilisés dans son processus de fabrication. Les accidents du travail liés aux employés sous-payés l’ayant cousue. Etc. Ces coûts sont principalement de deux ordres : sociaux et environnementaux.

La fast fashion n’est pas gratuite. Quelqu’un, quelque part est en train de le payer.

 

Les coûts sociaux

Qui dit fast fashion dit mauvaises conditions salariales. Le Bangladesh et la Chine sont les deux plus gros pays fournisseurs de main d’œuvre bon marché. Deux pays qui ne sont clairement pas des exemples en matière de protection salariale ou syndicalisme. Le film nous emmène justement au Bangladesh, pays où 4 millions de personnes travaillent dans l’industrie de la mode et où une ouvrière dans une usine de textile gagne 2$ / jour. Je mets ouvrière au féminin délibérément, car ce sont 85% de femmes qui travaillent dans ces usines.

On ne peut mentionner le Bangladesh sans faire référence au triste épisode du Rana Plaza qui a secoué le pays il y quelques années. Le Rana Plaza, c’était le nom d’une usine qui s’est effondrée et a fait 1129 victimes. Ce qu’on sait moins, c’est que des personnes sur place avaient alerté la direction sur des fissures visibles dans les murs le jour même, et se sont vues menacées d’être renvoyées si elles ne retournaient pas travailler. Le prix de la fast fashion se paie aussi en vies humaines. Pour en arriver à des prix si bas, les fournisseurs et sous-traitants prennent des risques incommensurables et inexcusables. Notons que le mois précédent, c’était également au Bangladesh qu’un feu dans une usine avait fait 100 victimes. Nous écoutons. Nous voyons. Nous nous émouvons. Nous nous indignons. Nous oublions. Et puis nous rachetons. L’année suivant celle de l’effondrement du Rana Plaza fut d’ailleurs la plus rentable de tous les temps pour l’industrie textile.

Manifestation après l’effondrement du Rana Plaza (© Al Jazeera)

Lorsque les ouvriers et ouvrières ont l’indécence de faire part de leurs revendications, celles-ci peuvent non seulement être ignorées, mais pire encore, leurs auteurs réprimandés physiquement. A l’instar de Shima, une ouvrière dans une usine à Dhaka, qui a monté une petite cellule syndicale avec d’autres ouvrières. Après la remise de leurs demandes, elles furent enfermées dans une pièce et battues. Au Cambodge, des manifestations pour demander un salaire minimum de 160$ par mois (vous vous rendez compte ?) furent réprimées par la police et des manifestants et manifestantes perdirent leurs vies.

Les grandes enseignes de vêtements occidentales ont pourtant de « codes de conduite » qu’elles demandent à leurs fournisseurs de respecter. Sauf que d’une part ces fournisseurs ne s’y conforment que rarement (comment à la fois garantir des salaires décents tout en acceptant les conditions tarifaires de l’entreprise qui vous presse comme un citron ?). Et d’autre part les vérifications sont rares. On se retrouve finalement dans une situation où la marque se dédouane auprès de son fournisseur sur qui elle peut rejeter la faute en cas de problème. C’est ce qui s’est passé pour le Rana Plaza. Dans les débris, des étiquettes de grandes marques occidentales ont été retrouvées. Ces marques n’ont pourtant jamais voulu endosser leurs parts de responsabilité dans l’affaire. D’ailleurs, lorsque le Congrès américain à voulu passer une loi reprenant les points de ces fameux codes de conduite, les marques s’y sont opposées. Derrière ce greenwashing, il ne se semble pas y avoir de réelle volonté de changer si cela se fait au prix d’une réduction des marges de profit.

A noter enfin, les conséquences néfastes du don de vêtements sur l’économie locale. Seuls 10% de nos dons de vêtements aux ONG restent entre leurs mains. Le reste part à destination de pays « pauvres » comme Haïti, ce qui a complètement détruit le commerce textile local.

 

Les coûts environnementaux

En plus des coûts sociaux, la facture s’alourdit de coûts environnementaux. Après le pétrole, la mode est la deuxième industrie la plus polluante de la planète. En cause (liste non exhaustive) :

  • Les pesticides utilisés pour la production des matières premières (comme le coton BT de Monsanto)
  • Les vêtements jetés ne sont pas biodégradables et s’entassent dans des décharges. Il faudrait 200 ans pour en venir à bout.
  • La contamination des eaux par le déversement des cuves d’eaux usées concentrées en produit toxiques. C’est ainsi qu’à Kanpur, la capitale indienne du cuir, ce sont chaque jour 50 millions de litres d’eaux chargées en Chlomium 6 qui sont déversées dans le Gange par les tanneries, un fleuve sacré pour les Hindous, dont l’eau sert pour l’agriculture, se laver, et même boire. Qu’est-ce que le Chlomium 6 ? Un produit hautement toxiques responsable de nombreuses maladies et malformations. C’est ce même produit qu’Erin Brockovich a dénoncé (poux ceux et celles qui auraient vu le film avec Julia Roberts !)

Soyons réalistes : la fast fashion occidentale prend les pays du Sud comme ses poubelles low cost. Ne dit-on pas loin des yeux, loin du cœur ?

 

Vous pouvez ajuster les sous-titres pour les mettre en anglais, mais je n’ai pas trouvé de vidéo avec sous-titres en français.

 

Face à ce constat alarmant, se pose la question : est-il moral de sous-traiter notre production de vêtements à ces pays en développement ? Peut-on continuer à justifier l’existence de sweatshops sous couvert qu’ils participent au sacro-saint développement économique ? Peut-on d’ailleurs encore vraiment parler de développement économique quand les gouvernements de ces pays sont à la merci des multinationales qui ont juste à brandir la menace de délocalisations si les salaires minimaux augmentent ?

Deux visions s’affrontent dans le documentaire. Les partisans du développement économique, qui expliquent par A + B que les sweatshops restent une option moins pire que d’autres (argument moralement très discutable, pourquoi ne pas vouloir tendre vers le meilleur plutôt que se satisfaire du moins mauvais ?). Et les partisans d’une autre vision de la mode, pour qui mondialisation ne doit pas être synonyme d’exploitation. Pour qui la logique néolibérale et capitalistique reposant sur la recherche de croissance illimitée est responsable de cette situation.

 

Les alternatives à la fast-fashion

Pas de recette révolutionnaire, l’impératif de « consommer vite, consommer pas cher » doit se transformer en « consommer moins et mieux ».

Achetez moins, choisissez bien, faîtes durer.

 

Moins consommer

Un passage du documentaire montre les images d’une caméra de surveillance d’un magasin ouvrant ses portes le jour de Black Friday (un jour de soldes important aux Etats-Unis). On peut y voir un flot de gens crier (littéralement crier), se pousser et se ruer sur des paires de chaussures en solde dont ils et elles n’ont probablement pas du tout besoin. J’ai eu un véritable sentiment de honte et de tristesse en voyant ces images.

Et que dire de ces YouTubeuses et blogeuses mode exposant fièrement leurs derniers achats qu’elles décrivent comme un besoin vital, tout en reconnaissant que « ce pull, je ne sais pas si je le mettrais en fait ». La situation serait comique si elle n’était pas révélatrice d’un véritable malaise de notre société matérialiste, dans laquelle la recette miracle pour le bonheur est une injonction à consommer toujours plus (j’avais d’ailleurs évoqué le sujet dans mon article sur pourquoi je ne parlais pas de mode sur ce blog).

Dans ce contexte, il est urgent de repenser ses achats. D’acheter moins, beaucoup moins. De se demander si on a vraiment besoin de ce 4ème maillot de bain ou cette 9ème paire de jeans ? La marque américaine Patagonia en a fait sa marque de fabrique : elle éduque et incite ses consommateurs.rices à ne pas acheter s’ils ou elles n’en ont pas besoin.

 

Mieux Consommer

En privilégiant des marques engagées qui considèrent leurs fournisseurs locaux comme de véritables partenaires et mettent en place des programmes de formation, veillent à ce que les conditions salariales soient justes. Le documentaire laisse d’ailleurs la parole à des représentants de cette autre mode plus éthique.

Pour finir, j’aimerais rappeler que s’il est simple de se défausser sur les grandes multinationales, n’en oublions pas pour autant la responsabilité du consommateur ou de la consommatrice dans l’équation. A l’époque de l’argent-roi, notre porte-monnaie est un atout de taille pour nous faire entendre. Comme disait Coluche:

« Il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ».

 

[bctt tweet= »True Cost: un documentaire pour comprendre le véritable prix de la #FastFashion » username= »Madame_Carotte »]

Où visionner le documentaire The True Cost ?

  • Sur Netflix
  • Sur Le site du film: à la vente (9,99$) ou à la location (3,99$)  – assurez vous au besoin que les sous-titres français soient disponibles.
  • Sur ITunes (9,99$)

 

Pour aller plus loin :

Pourquoi je ne parlerais pas de mode sur ce blog

Le PIB – Prix International du Bullshit ?

* Citation traduite, initialement en anglais dans le documentaire: « The stores are competing. When the stores are coming to us for an order and negociating, they’re telling « look, that particular store is selling this shirt for 5$, so I need to sel lit at 4$, so you better squeeze your price, so we are squeezing. Then other store is coming and saying : « hey, they’re selling i tat 4$, so the target price is 3$. If you can make that 3$, you’re getting business, otherwise you are not getting. Because we want the business so badly, and we don’t have other options, okay. »

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

You May Also Like

9 Comments

  1. 1

    Super résumé du documentaire, merci beaucoup de l’avoir partagé avec nous! Je vais le regarder sur Netflix dans les jours qui viennent 🙂

    Je me souviens de l’accident de Rana Plaza, et j’ai d’ailleurs commencé à réduire drastiquement mes achats et sélectionner les marques à ce moment-là. Mais c’est vrai que « loin des yeux, loin du coeur » pour beaucoup de consommateurs (moi y compris), même sans forcément s’en rendre compte, pris dans un quotidien semi-automatique.

    J’avais lu un article il y a quelques années (il faudrait que je le retrouve) qui montrait pourquoi les boycotts du type qu’il y avait eu dans les années 90, suite au scandale des enfants qui cousaient des baskets Nike par exemple, ne fonctionnerait plus aujourd’hui : trop de sous-traitance. Les marques elles-mêmes n’ont plus le contrôle sur les méthodes de fabrication de leurs vêtements. Certaines peuvent choisir de changer de sous-traitant mais ça en changera pas les conditions de travail de l’usine pour ses autres clients. Sans compter, bien sûr, le fait que la course à la croissance et aux bénéfices est de plus en plus pressante depuis que les fonds de pension possèdent beaucoup d’actions de diverses entreprises, et que ça devient plus important que tout le reste…

    • 2

      Je t’en prie Florie, et bon visionnage 🙂
      Effectivement si tu retrouves cet article, je serais intéressée par le lire. Je me dis quand même que les marques s’en sortent un peu facilement en rejetant la faute sur les sous-traitants. Elles savent bien au fond qu’en demandant des prix si bas, les sous-traitants vont à un moment ou un autre lésiner sur les salaires / conditions salariales. Je te rejoins 100% sur les bénéfices à court terme recherchés par les actionnaires (je ne savais pas en revanche que ces actionnaires étaient de plus en plus des fonds de pension).
      Bon WE 🙂

  2. 3

    Bonjour Aurélia 🙂 Ca alors, quelle coïncidence, j’ai moi aussi regardé ce documentaire il y a quelques jours ! Et je suis bien contente de voir que tu as publié un article sur le sujet, car je me suis dit que je devais le revoir en prenant des notes pour reprendre des parties les plus éloquentes, mais je ne sais honnêtement pas si j’ai le cœur assez solide que pour le regarder une seconde fois.

    J’ai eu le même sentiment que toi en voyant des images du Black Friday en parallèle avec celles des travailleurs… Tristesse, honte et désarroi. Ce serait pourtant si simple d’éviter tout ça, mais à cause d’une ignorance globalisée et organisée, ça devient très difficile… Et vu que le problème est à si grosse échelle, qu’il y a tellement de magasins, tellement de vêtements et tellement de consommateurs, eh bien au final personne ne se sent responsable vu que tout le monde fait pareil.

    Merci beaucoup pour cet article en tout cas.

    Des bisous 🙂

    • 4

      Coucou Morgane, pardon pour la réponse tardive, ton commentaire est allé en indésirable, pour une raison inconnue!
      Bref, oui les images du Black Friday sont hallucinantes. Ces gens qui crient comme si on était dans un hôpital en train d’essayer de sauver des vies. L’effet mouton ! Comme tu dis, tout est bien organisé pour nous vendre ce modèle du « consommer pour être heureux.se », et nous laisser peu de temps pour penser et réfléchir aux choses les plus essentielles de l’existence. Metro Boulot Conso Dodo quoi !
      Bises
      Aurelia

  3. 5

    Coucou,
    Je n’ai pas encore regardé ce documentaire mais il est sur ma liste de ‘to watch’ car ce sujet m’intéresse et m’interpelle.
    La mode me dégoûte car elle est plus que déraisonnée. J’aime avoir de beaux vêtements mais seulement quelques pièces, alors quitte à être bien habillée autant l’être de manière éthique, économique et humanitaire ! Exit les boutiques et bonjour les sites éthiques et les fripes.

  4. 7

    Bonjour,
    J’aimerais ouvrir les yeux a un de mes proches qui achète pour mes enfants des vêtements fasse fashion alors qu’il a les moyens d’acheter mieux (et que les enfants ont déjà assez, mais c’est un autre débat). Votre article, couple à celui des cadeaux de Noël, m’a décidée : cette année je lui offre un DVD documentaire sur la consommation, si possible le vestimentaire. Je cherche le film je plus percutent, sachant que je n’en ai vu absolument aucun (oui c’est la honte) et que je ne compte pas prendre le temps d’en vir d’ici la. Alors je vous demande conseil : Fast fashion est-il le bon film à lui offrir ? Il ne pourra pas se dédouaner en pensant que ca ne concerne que les américains ? Et/ou si vous avez un nom de documentaire coup de cœur pour ouvrir les yeux des gens sur les problèmes de la consommation à outrance, ca me serait très utile.
    Quoi qu’il en soit, merci pour votre blog !

    • 8

      Bonjour Sandrine,
      C’est une bonne idée le DVD 😉
      Si c’est sur la consommation vestimentaire que vous cherchez spécifiquement, je ne crois avoir vu que « The True Cost », du coup je ne sais pas si c’est le meilleur, mais il est en tout cas impactant. Dans la mesure où la fast fashion est régulé par des marques qui vendent en Europe comme aux USA (H&M, Zara, etc.), on ne peut pas dire que cela ne se passe qu’aux Etats-Unis. C’est bien un problème mondial, le documentaire ne laisse pas de doute à ce sujet.
      Si vous cherchez un documentaire sur la surconsommation en général (pas que vestimentaire), là il y a plus de choix: « l’urgence de ralentir » (qu’on m’a conseillés mais que je n’ai pas vu), « Sacrée Croissance » de Marie Monique Robin (avec un angle plus macroéconomique qui remet en question la logique de la croissance à tout prix), « Solutions locales pour désastre global » (plus axé sur l’agriculture ceci dit), et sûrement encore un paquet que j’oublie!
      J’en profite pour aussi vous suggérer un livre sur le même thème (mini-livre): vers la sobriété heureuse 🙂 (mais effectivement avec un livre on a plus de chance que le cadeau reste sur l’étagère des années avant qu’il ne soit lu!)
      Je serais intéressée de savoir lequel vous choisissez au fianl, et s’il porte ses fruits 🙂

Comments are closed.