[Portrait] Laurène, tout plaquer pour vivre simplement dans l’Inde rurale

Le hasard fait bien les choses, j’en suis convaincue. Il vous amène à rencontrer des personnes qui vous marquent, au moment où vous en avez précisément besoin. C’est ce qui s’est passé ce week-end. Ayant passé 4 jours à Panchgani (le paradis des fraises), dans les montagnes du Maharasthra, j’ai séjourné dans un petit b&b tenu par un couple franco-iranien : Laurène et Meherdad. En discutant avec Laurène, j’ai trouvé son parcours tellement inspirant que j’ai voulu le partager avec vous, car je suis sure qu’il pourra résonner avec certains et certaines d’entre vous.

Laurène est venue en Inde il y 8 ans. Travaillant comme esthéticienne pour une grande chaîne de salons de coiffure, elle y a vécu la belle vie d’expat, avec tout ce que cela comporte de sorties, de fêtes et de bling. Jusqu’à ce qu’elle commence à éprouver une sorte de malaise. Arrive alors la grande interrogation sur la finalité de son job et le sens qu’elle a envie de donner à sa vie (une réflexion qui fait écho à ma propre expérience). A la recherche d’une autre manière de vivre et profondément marquée par le documentaire « l’Urgence de Ralentir », Laurène et Meherdad sautent le pas et décident de tout plaquer pour s’installer dans l’Inde rurale, troquant ainsi le rythme effréné de Bombay par une vie plus calme, plus simple et plus proche de la nature.

 

 

Qui dit vie plus simple dit donc moins de dépenses. Pour payer les factures, le couple convertit une partie de la maison en petit b&b. « La maison B&B » c’est donc 4 chambres qui peuvent accueillir des visiteurs en quête de reconnexion avec la nature. La maison sert aussi à accueillir des wwoofers durant la saison des récoltes (des bénévoles à qui le gîte et le couvert sont offerts en échange de 3 heures de travail par jour), puisque Laurène, qui n’y connaissait rien au jardinage avant de s’installer ici, cultive désormais des pommes de terre, des tomates, des épinards, des courgettes, du basilic, etc. Son but ? Devenir auto-suffisante.

Un virage à 180° qui va à contre-courant d’une société ultra-normée où les personnes aux parcours atypiques sont souvent vues comme des marginaux hippies un peu en marge de la société. Moi je trouve ce parcours au contraire inspirant et courageux, surtout quand on sait que le couple a accueilli une petite fille il y a 10 mois, à qui ils souhaitent procurer une éducation la plus proche possible de la nature. Un joli portrait de famille complété par Coco, un chat que le couple a adopté lorsqu’ils étaient à Bombay, et Poppy, un chien qu’ils ont recueilli après l’avoir trouvé dans un caniveau avec une patte cassée peu de temps après leur arrivée ici.

J’ai posé quelques questions à Laurène, pour en savoir un peu plus sur ce beau cheminement de vie.

Pourquoi as-tu décidé de changer de vie?

C’était en réaction à un ras le bol. J’avais la sensation de jouer un jeu et de ne pas être à ma place. Je n’en pouvais plus de me lever tous les matins pour faire quelque chose qui n’avait pas de sens. Courir au boulot, gagner de l’argent, toujours plus d’argent… Et pour quoi au final ?

Et puis, pour moi, cette manière de vivre simplement pour profiter plus correspond à l’avenir. Je pense sincèrement qu’on va de plus en plus aller vers un « exode urbain » car de plus en plus de personnes en ont marre de subir le rythme des grandes villes. Les mégalopoles surtout deviennent invivables et nous déconnectent complètement de qui nous sommes.

 

Qu’est-ce qui a été pour toi le déclic te permettant de sauter le pas?

Ca a été l’endroit. On voulait s’installer ailleurs, et un jour Meherdad a dit « pourquoi ne pas venir à Panchgani ? » où il avait fait ses études. On est venu pour voir et je me suis tout de suite sentie chez moi, comme si le lieu m’appelait. C’est apparu comme une évidence.

 

Qu’est-ce que cette nouvelle vie t’a apportée?

Un bébé ! Je suis tombée enceinte deux mois après avoir emménagé ici, alors que cela faisait deux ans que je n’étais plus sous pilule. Je ne cherchais pas particulièrement à tomber enceinte, mais je me disais que si ça devait arriver, ça arriverait. Et je suis persuadée que c’est ce changement de vie qui m’a psychologiquement permis de me sentir vraiment prête.

Cela a aussi complètement changé ma vision du travail. J’ai grandi dans l’idée que « le travail c’est la vie ». Que pour être heureux il faut avoir un travail et être financièrement indépendant. Du coup je me sentais coupable depuis quelques années de me dire qu’en fait non, le travail n’est pas forcément libérateur. C’est beaucoup de sacrifices pour au final gagner des cacahuètes et enrichir des actionnaires qu’on ne verra jamais. Alors que ce dont j’avais envie c’est ce que je fais aujourd’hui : jardiner, voire grandir ma fille, cuisiner, m’occuper des guests de notre b&b, etc. Bien sûr, tout cela nécessite aussi du travail, mais c’est un travail d’un autre type ; je ne le vis pas comme un fardeau. Je gagne in fine beaucoup moins d’argent mais il a bien plus de valeur que celui que je faisais avant. Ça a donc été en quelque sorte un retour aux sources qui m’a permis de revoir mes priorités et me focaliser sur ce qui était important pour moi.

 

Y a-t-il des choses de ta vie d’avant qui te manquent?

C’est difficile comme question. Globalement non, je ne pense pas, hormis de temps en temps un resto, une bonne douche chaude (à la place de la douche au sceau) ou la clim, mais au final ce sont des détails. Même socialement, je ne me sens pas isolée. J’ai eu une vie où je sortais beaucoup, trop même. Ici les gens prennent le temps de vivre, il y a un véritable esprit de village où les gens se connaissent vraiment. Les interactions sont donc certes moins nombreuses mais m’apportent davantage.

 

Quels sont les challenges et échecs auxquels tu as dû faire face au cours de cette transition?

Ohlala, c’est tous les jours les échecs et les challenges ! Par exemple la gestion de l’eau. On a un réservoir d’eau qu’on vérifie chaque jour pour voir si nous avons assez d’eau. Parfois il n’y en a pas… Ou encore la 1ère année où nous avons ouvert le b&b, nous n’avions aucun guest et avions donc une grosse pression financière. Récemment encore, on a essayé de faire du compost, on s’est pourtant renseigné sur internet, mais on n’a pas encore réussi.

Mais le plus gros challenge a été de sortir de cette vie toute tracée et de l’assumer. De surpasser les moments de doutes et faire taire cette petite voix qui revient sans cesse « est-ce qu’on a bien fait ? Est-ce qu’on a fait le bon choix ? Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? ». Bizarrement, je pensais en déménageant ici que ce serait la rupture avec la ville qui serait le plus difficile, alors qu’en fait ça a été ça : le poids d’accepter et assumer ce changement.

 

Que pensent tes parents et tes amis de ce changement de mode de vie?

J’ai beaucoup de chance car ils sont très compréhensifs et m’ont beaucoup soutenue, même s’ils n’ont pas forcément compris au début. Mes propres parents sont eux-mêmes en train de changer leur mode de vie. Le fait que je sois si bien entourée a sans nul doute contribué à rendre ce changement plus facile.

 

Tu as fait le choix d’élever ta fille « hors système », peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Je souhaite pouvoir lui offrir quelque chose de différent ; pour moi c’est la meilleure raison d’avoir un enfant. Je veux lui transmettre des valeurs qui feront d’elle une personne respectueuse de la nature. Qu’elle comprenne que la nourriture ne pousse pas au supermarché. Que si tu veux manger de la viande, il faut tuer des animaux. Que si tu veux des légumes, il faut du temps pour qu’ils poussent. Je ne veux pas lui cacher les choses mais je veux qu’elle apprenne à respecter la nature. Tout ce qu’au final moi je n’ai pas appris, et que le système ne t’apprend pas ! Concernant son éducation, je ne sais pas encore comment ça va se passer, mais j’aimerais qu’elle apprenne à être heureuse. J’aime beaucoup cette citation de John Lennon :

« quand je suis allé à l’école, ils m’ont demandé ce que je voulais être quand je serai grand. J’ai répondu « heureux ». Ils m’ont dis que je n’avais pas compris la question, j’ai répondu qu’ils n’avaient pas compris la vie. »

Or dans le système scolaire –surtout en Inde- ce ne sont pas des questions qu’on invite les enfants à se poser. On ne leur apprend pas non plus à développer leur esprit critique.

 

Quels sont vos projets pour la suite ?

D’avoir notre maison à nous, qu’on aura construit ! J’ai aussi envie de m’instruire et enrichir mon savoir sur des sujets comme la permaculture, l’écologie, etc. afin d’aller peu à peu vers l’autosuffisance. Et pourquoi pas, à terme, joindre ou créer une communauté. On voit en effet de plus en plus de personnes se regrouper autour d’un même mode de vie.

 

Aujourd’hui, comment résumerais-tu ta philosophie de vie?

On n’a qu’une vie et elle passe très vite alors vis une vie simple et heureuse. Profites des gens que tu aimes. Fais les choses que tu as envie de faire, même si cela va à l’encontre de ce que la société dicte ou ce que ton entourage attend de toi.

 

As-tu des conseils pour tous ceux qui se posent des questions et n’osent pas se lancer?

Il n’est jamais ni trop tôt, ni trop tard. On peut toujours se donner les moyens, du moment qu’on ait l’envie. Les barrières -que ce soit le besoin de sécurité ou l’argent- on se les met tout seul. On me dit souvent que j’ai de la chance. C’est faux. J’ai travaillé dur pour en arriver là où j’en suis aujourd’hui. J’ai pris des risques. Il y a eu des moments où je n’avais pas un sou en poche, mais ça ne m’a pas arrêté. J’ai au contraire appris à rebondir après les échecs, qui nous apprennent toujours quelque chose. En bref, je fais partir des gens qui pense qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Si on ne prend jamais de risque, on devient vieux, aigri et sarcastique !

 

J’espère que la lecture de ce témoignage vous aura inspiré, donné du courage, fait réfléchir, ou juste permis une petite pause sympathique dans votre journée ! Je vous laisse avec quelques photos de Panchgani. Si vous passez par là (Panchgani est à 5 heures de Bombay), n’hésitez pas à passer par La Maison B&B. A noter que bien que la Maison B&B ne soit pas vegan, plusieurs options végétaliennes sont à la carte. Laurène est une cuisinière hors pair et les pommes de terre viennent de leur jardin 🙂

 

Et pour aller plus loin:

Deux articles que j’avais écrit au sujet du changement de voie:

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6 Comments

  1. 1

    Merci pour ce beau témoignage. Ça me permet de me remotiver et de voir que je ne suis pas seule à essayer de vivre mes rêves! C’est super comme article…

  2. 3

    Fais d autres portraits et avec ceux avec enfants ! …car çela fera réfléchir…bravo pour ton blog.

  3. 5

    Carotte, je voulais dire des portraits ´de parents qui,malgré leurs peurs de tout lâcher, le confort, la maison et l école, l ont fait et ce…avec enfants’, en embarquant la’famille!
    Pourquoi suis-je entrain de te suggérer davantage de ces profils?
    Car il y a toute une ribambelle de trentenaires et quadra qui rêvent de le faire, mais qui te disent toujours (ou s abritent derrière l excuse ) de la scolarisation des marmots, des risques de tout faire foirer et tout et tout.
    Je suis moi même en pleine réflexion à vrai dire apres 17 ans d expatriation ( a 28 ans c était facile) mais nous sommes rentrés en France et je me demande si je ne vais pas démissionner après 17 ans dans la même boite, refuser le salaire qui avec et surtout, si notre choupette serait heureuse en Polynésie d’où au Vietnam ou ailleurs…etc…tous les questionnements métaphysiques relatifs au sens, au bien être mais aussi au futur de nos progénitures dont nous sommes responsables un peu quand même.
    Donc des portraits ou témoignages de familles barrées au sens propre et figuré, seraient bienvenus!
    Super de te lire
    Ca fait avancer le bazar
    Belle nuit

    • 6

      Ok j’ai compris ! J’en prends note, et si le cas se présente, j’en ferais un portrait avec joie 🙂 Dans le cas de Laurène, elle a une petite fille qu’elle n’envisage pour l’instant pas de scolariser, sauf si elle trouve une école type Montessori à proximité.

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