Lu, Vu, Entendu #3 : Sentience, Impact écologique de la viande et Violences sociétales

Avec un peu de retard (l’été est passé par là), retour sur les derniers articles, podcasts et vidéos qui m’ont marquée ces derniers mois, avec un gros focus sur la question animale (surprenant !)

 

Animaux

Je commence par 2 textes qui ont particulièrement fait évoluer ma réflexion ces derniers temps.

  • Le 1er du blog Les Questions Décomposent qui propose une approche gradualiste de la sentience. L’auteur explique que la sentience n’est pas un concept binaire, mais graduel, c’est-à-dire que le degré de sentience varie d’une espèce à l’autre (pour faire simple : la sentience n’est pas la même qu’on parle d’un moustique ou d’un chien).
  • Le 2ème est un texte de David Chauvet « Et pourtant, ils sont nos esclaves » dans lequel l’auteur défend l’utilisation du terme « esclave » pour qualifier les animaux. Ayant plutôt par le passé défendu qu’il était problématique de comparer l’esclavage humain et animal, je dois dire que ce texte m’a beaucoup fait réfléchir, et notamment les propos rapportés de Aph Ko, antispéciste noire : « En tant que Noirs, si nous craignons d’être catalogués comme « animaux » parce que cela veut dire que nous pouvons être utilisés, maltraités, réifiés et tués, alors peut-être devrions-nous nous demander pourquoi les animaux méritent d’office une maltraitance telle que nous sommes terrifiés rien qu’à l’idée d’être traités d’animal. »

 

Séquence éthologie avec « La Méthode Scientifique » qui a diffusé un podcast sur l’instinct, l’inné, l’acquis :

  • Il en ressort que la pertinence de la séparation scientifique entre inné et acquis est de plus en plus remise en question. On se rend notamment compte que ce qu’on qualifie d’instinctif peut être dû à un apprentissage prénatal. Par exemple, on peut influencer les préférences alimentaires de la seiche lorsque celle-ci est à l’état embryonnaire. Les seiches mangent généralement de petites proies comme des crevettes, mais si on les expose à des crabes à la naissance ou avant la naissance, ses préférences alimentaires changent pour s’adapter à son environnement.
  • Je retiens aussi de ce podcast l’importance de tenir en compte du facteur variable d’un individu. Tout comme il existe des variabilités entre les êtres humains à qui on ferait passer un test de QI, il existe des variabilités entre des individus d’une même espèce. Attention donc à ne pas généraliser des comportement observés chez certains animaux d’une espèce à toute une espèce.

 

Côté droit des animaux, je vous invite à voir cette courte conférence Ted X par Catherine Helayel qui est une bonne introduction au droit animal et une vidéo bien utile à partager avec des personnes qui pensent que les animaux sont protégés en France. Catherine Helayel retrace les grandes dates autour de la protection animale et souligne l’incohérence de traitement des animaux au regard de la loi en fonction de leur espèce (dépendant tantôt du code Civil, du code Rural, etc.) Ainsi, le lapin peut être dans toutes ces catégories à la fois, en fonction qu’il doit un lapin de Garenne, Angora, de compagnie, de laboratoire ou d’élevage : ce même animal est donc protégé différemment en fonction de son utilité.

 

Enfin, le dernier numéro des Cahiers Antispécistes s’attarde sur une question qui divise le mouvement animaliste : celle de la souffrance des animaux sauvages. D’un côté les personnes qui affirment que la nature est bien faite et qu’il ne faut pas intervenir. De l’autre, les personnes (dont je fais partie) qui considèrent que la souffrance des animaux sauvages n’est certes pas la priorité du moment, mais qu’elle est d’une telle ampleur qu’elle mérite qu’on s’y intéresse.

« On pense souvent que les animaux sauvages vivent dans une sorte de paradis naturel, et que la souffrance n’est induite que par l’apparition et l’intervention humaines […]. Les animaux dans la nature sont régulièrement exposés à la souffrance, en raison de toute une série de facteurs qui se retrouvent ordinairement dans un environnement sauvage : manque d’eau et de nourriture, prédation, maladies, agressions intraspécifiques, etc. » (UCLA)

Se pose alors la question de comment intervenir pour minorer cette souffrance, sans entraîner de dommages ? Si vous pensez que l’interventionnisme est une idée complètement farfelue, faîtes donc ce petit test proposé par Brocoli Concentré! Et si la perspective de lire les articles des Cahiers Antispécistes vous rebute (c’est vrai que c’est parfois long et fastidieux !), How I Met Your Tofu a écrit il y a de ça quelques temps un très bon article sur le sujet.

 


Planète

Ces derniers mois, deux études sur l’impact écologique de la viande sont parues.

Même si j’ai tendance à me méfier de la fiabilité des résultats énoncés sur des sujets aussi complexes que l’alimentation / l’agriculture, c’est plutôt bon signe de voir que des revues / journaux aussi prestigieux s’emparent de plus en plus de ces sujets.

 


Société

Pour terminer, parlons violence :

  • La violence d’un système ultra-libéral d’abord, qui a donné un énorme pouvoir aux grandes multinationales. L’Observatoire des multinationales vient de publier le premier « véritable bilan annuel » des multinationales françaises pour informer sur ce que font réellement les grandes entreprises françaises dans des domaines aussi divers que le partage des richesses, la protection du climat, les droits des travailleurs, le lobbying ou la santé (c’est long mais on peut lire en diagonal sur les sujets qui nous intéresse, ou ne serait-ce que jeter un coup d’oeil aux chiffres clés en page 5).

  • La violence d’un système patriarcal dont j’avais déjà parlé dans ma précédente revue. Ainsi les femmes gagnent toujours moins que les hommes, elles sont toujours sous-représentées aux postes décisionnels. Le podcast Les Couilles sur la Table nous explique aussi pourquoi le sport reste encore majoritairement une affaire de mecs. Et quand une femme fait du sport, il y a une injonction à ce qu’elle ne perde pas sa féminité en se musclant trop, car « On se coltine donc dans la tête l’idée qu’une femme naturelle c’est un corps plutôt fragile et gracieux, en opposition avec un corps masculin fort » (issu de cet article de Slate)
  • Les femmes ne sont pas les seules victimes de ce système. Les hommes ont aussi beaucoup à perdre, qui doivent cacher leur sensibilité et se conformer à une certaine image de virilité. Ce n’est pas un hasard si les homosexuels sont toujours discriminés dans le monde du travail (salaire moins élevés, chômage plus élevé). Même dans les milieux dits qualifiés et prestigieux comme les facs de médecine, les grandes écoles ou l’ENS. Etant moi-même passée par une école de commerce, je me rappelle encore de cette chanson qu’on entonnait à tue-tête dès les 1ers jours d’intégration : « HEC c’est pour les pédés, et l’Essec, c’est pour les vrais mecs ». Un refrain doublement oppressif donc, à la fois sexiste et homophobe. Je ne suis pas bien fière. In fine, comme le résume bien cet article sur l’homophobie en col blanc : « L’homophobie comme le sexisme transcendent donc les classes sociales et rien n’est plus faux que de présupposer que des milieux qui s’affichent comme cultivés et éduqués en seraient davantage exempts. »
  • Enfin, ces violences peuvent se cumuler. Si vous êtes une femme racisée et homosexuelle, vous ne vivez pas votre quotidien de la même manière qu’un homme blanc hétérosexuel. C’est pour mieux appréhender cette réalité qu’on parle d’intersectionnalité, une notion qu’ont développée les féministes noires qui ne se retrouvaient pas dans un féminisme pensé par et pour des femmes blanches.

Voilà voilà, je crois qu’on a fait le tour !

[bctt tweet= »Lu, Vu, Entendu #3 : Sentience, Coût écologique de la viande et Violences sociétales » username= »Madame_Carotte »]

Bonus

Comme d’hab’, une petite stat et un artiste engagé pour finir en beauté.

Côté artiste, coup de cœur pour Hien, artiste français basé à Montpellier qui travaille ses toiles en 3D. Il traite de sujets aussi variés que l’inégale répartition des richesses, la captivité des cétacés, l’obsolescence programmée ou encore les déchets plastiques. En voici quelques unes, vous pouvez en découvrir d’autres sur son instagram.

 

Et côté chiffre, saviez-vous que la majorité des poules pondeuses disposent d’une surface équivalente à celle d’une feuille A4 ? L’interdiction des poules en cage était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, mais la proposition a été retoquée à l’Assemblée Nationale en juin dernier…

 

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6 Comments

  1. 1

    Woh, que d’articles passionnants ! Je crois qu’il n’y en a pas un que je vais occulter … gros pouce vert pour le podcast de La Méthode Scientifique dont je dévore tous les épisodes .. <3

    Pour la réduction de la souffrance du monde sauvage, je suis allée lire sans attendre le petit article dont tu as parlé (ayant déjà lu pas mal d'articles des Cahiers sur le sujet) et je reste du même avis : c'est absurde à mes yeux. Entre remettre une tortue sur le dos ou empêcher un lion de manger une antilope, déjà l'impact n'est pas le même : le lion mourra s'il ne mange pas. Tandis qu'en remettant une tortue sur le dos, on ne lèse très probablement peu d'animaux …
    Par ailleurs, autant ça me faisait pleurer étant petite, autant désormais clairement, je ne frémis plus en regardant ces courses-poursuites car ce n'est pas mon rôle d'humaine d'intervenir ainsi dans la vie d'animaux sauvages. Pour l'animal tué, que ce soit Jean-Mi ou un tigre, certes, la souffrance est équivalente sauf qu'il y a un cas ou elle permet à un autre animal de vivre. L'autre cas étant juste de permettre à un animal humain de faire le fier … C'est là qu'à mes yeux réside la plus grosse différence.

    C'est un sujet sur lequel je me pense assez sensible mais la totalité des articles des Cahiers que j'ai lu dessus m'ont beaucoup choquée … Après c'est comme tout, j'évoluerais peut-être mais … pour l'instant je ne le souhaite pas ! 🙂
    Je reviendrai commenter le reste des articles lorsque je les aurai lus !

    À très vite, merci encore ! 🙂

  2. 2

    Encore une revue vraiment riche, avec plein de choses intéressantes ! Merci ! 🙂

    Concernant la remarque de la fin du podcast « Les couilles sur la table », c’est marrant, parce que j’ai regardé récemment l’ensemble des James Bond justement, dans leur ordre de sortie. Et franchement dans les premiers, c’est hallucinant de sexisme : main aux fesses (et les filles ne demandent que ça, bien évidemment), aucun respect dans les paroles, dès qu’une femme tente quelque chose c’est mal fait, etc. Ça fait du bien quand tu arrives aux plus récents. ^^
    Le point positif, c’est que les mentalités semblent pouvoir évoluer relativement rapidement quand même, même s’il reste beaucoup à faire. Ça serait inimaginable de voir ça maintenant.

    Sinon, pour avoir connu aussi les Grandes Ecoles, c’est sûr que c’est un peu affolant parfois. On aurait tendance à penser que ceux considérés parfois (par eux-mêmes ou les autres) comme les « élites » seraient globalement plus intelligents et ouverts que la moyenne, mais c’est pas forcément le cas. Et avec l’effet de groupe qui tend à gommer les intelligences individuelles (et empêche de voir le problème, puisque tout le monde fait pareil), la consommation excessive d’alcool, l’égo parfois gonflé par cette « réussite », et le fait qu’un parcours relativement facile n’encourage pas forcément la remise en question du monde dans lequel on vit, ça n’arrange pas les choses. C’est clair que le « niveau de diplôme » n’est pas forcément corrélés avec l’ouverture d’esprit, malheureusement : des gens ayant arrêté les études tôt se montrent parfois plus intéressants que des surdiplômés.
    Et d’ailleurs on retrouve des marques de spécisme également dans les habitudes relatées dans l’article sur l’ENS, quand ils parlent de « gibier »…

    Sinon, j’ai relu le texte de Chauvet, et c’est vrai qu’il est très bien, je trouve. Notamment l’analyse que certains sont fermés au dialogue et dogmatiques (« Si tu es pas d’accord avec moi, c’est parce que tu fais pas partie de la catégorie qui peut comprendre, et même si une personne de ladite catégorie dit comme toi, c’est qu’elle s’est fait laver le cerveau ; donc je réponds pas à tes arguments », en gros ^^). C’est dommage quand ça bloque complètement le dialogue ouvert et bienveillant, quand la personne à qui on fait ce genre de remarque ne demande qu’à comprendre et progresser.

    Bref, encore merci pour toutes ces ressources sur des sujets variés. C’est toujours aussi agréable et stimulant de lire ce que tu partages. 🙂

    • 3
      • 4

        Merci pour l’article. 😉
        Moi c’était école d’ingé, donc ça allait encore niveau formation, du moins pour la plus grande partie, qui est scientifique (il n’y a pas vraiment lieu de développer une réflexion politique critique sur un phénomène physique, par exemple ^^). Les écoles de commerce, je connais pas de l’intérieur.
        N’empêche que ça reste une bonne expérience d’avoir connu ça je pense, pour justement affiner notre réflexion critique à ce sujet. 🙂

  3. 5

    Merci pour ce bel article de rentrée 😉 ( très documenté) qui donne à penser que tout se recoupe sous un thème central ontologique, cosmologique de « Nature et Culture ». Merci + pour le lien vers l’article de Slate qui fait écho à la « Domination Masculine » de Pierre Bourdieu, nous rappelant ( en 98) que « L’éducation fondamentale tend à inculquer des manières de tenir le corps dans son ensemble, opposées homme/femme (la main droite, masculine/ la main
    gauche, féminine- des manières de marcher, de porter la tête, ou le regard, en face, dans les yeux,masculine/ au contraire, à ses pieds,féminines) »et que « notre esthétique, tient dans le système des adjectifs cardinaux, élevé/bas,
    droit/ tordu, rigide/souple, ouvert/fermé, etc. » donc : musclé/gracile -pédés/vrais mecs.
    Merci Aurelia 😉 !
    #Peter Singer #La Domination Masculine #King Kong Théorie.

  4. 6

    Merci pour ce bel article de rentrée 😉 ( très documenté) qui donne à penser que tout se recoupe sous un thème central ontologique, cosmologique de « Nature et Culture ». Merci + pour le lien vers l’article de Slate qui fait écho à la « Domination Masculine » de Pierre Bourdieu, nous rappelant ( en 98) que « L’éducation fondamentale tend à inculquer des manières de tenir le corps dans son ensemble, opposées homme/femme (la main droite, masculine/ la main
    gauche, féminine- des manières de marcher, de porter la tête, ou le regard, en face, dans les yeux,masculine/ au contraire, à ses pieds,féminines) »et que « notre esthétique, tient dans le système des adjectifs cardinaux, élevé/bas,
    droit/ tordu, rigide/souple, ouvert/fermé, etc. » donc : musclé/gracile -pédés/vrais mecs. Merci 😉 !
    #Peter Singer #La Domination Masculine #King Kong Théorie.

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