Le Mistral : un refuge pour changer de regard sur les animaux d’élevage

Aujourd’hui, je laisse la parole à Clément, une des personnes les plus inspirantes que je connaisse dans le milieu de la cause animale, pour vous parler du refuge « Le Mistral » qu’il a créé avec sa compagne. Situé en Ardèche, Le Mistral recueille des animaux dits d’élevage. Je suis vraiment ravie de parler de cette initiative sur mon blog, étant personnellement convaincue que les refuges ont un rôle crucial à jouer pour aider à changer de regard sur les animaux d’élevage et sensibiliser le public à leur sensibilité, intelligence et droit à la vie.

Bonne lecture ! J’espère que vous trouverez cette interview aussi instructive qu’elle l’a été pour moi 🙂

Le refuge Le Mistral sous la neige !

Le Mistral sous la neige ! © Altervita

Clément, tu es plus connu sur internet pour les BDs que tu fais sous le nom de Krapo. Peux-tu nous en dire plus sur ton engagement pour les animaux ?

J’avais commencé à publier des dessins sur internet il y a 5 ans, sur une multitude de sujets, dont une bonne partie que je ne maitrisais pas du tout à l’époque. Quand en 2015 j’ai arrêté de manger de la viande, puis les autres produits d’origine animale : j’ai commencé à y consacrer des dessins. Mais c’est ma longue bande-dessinée sur « la crise requins » à La Réunion qui a marqué le début de mon engagement. Cette BD a été écrite à quatre mains avec un ami réunionnais, lui aussi professeur de biologie, et très calé sur le sujet. Le petit buzz qui a suivi la sortie de la BD m’a fait connaître par l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages), qui m’a contacté pour travailler bénévolement à leurs côtés. J’ai réalisé avec eux des visuels sur la chasse, des illustrations pour de la documentation destinée aux enfants, et la BD « Fantastique Renard » dans le style de celle sur les requins mais sur un autre animal souvent accusé de tous les maux. Je continue à travailler avec eux sur différents projets concernant la faune sauvage.

Sinon, j’essaye aussi de faire un peu bouger les lignes dans mon métier d’enseignant. Et dans le cadre du VGCAMP, j’ai produit un dossier et une série de vidéos sur la place des animaux dans l’enseignement des SVT au collège et au lycée.

Clément a crée le refuge le Mistral qui recueille des animaux d'élevages et leur donne une seconde vie à l'abri de toute exploitation !

 

Avec ta compagne Emilie, vous avez créé l’association Altervita. Peux-tu nous la présenter en quelques mots ?

Altervita a été fondé en 2015. Ses statuts précisaient dès le début notre volonté de sauver des animaux d’élevage, de leur offrir un cadre de vie optimal et de permettre au public la possibilité de venir les rencontrer. Nous avons recherché le lieu le plus approprié et en 2017 nous ouvrions notre premier refuge : Le Mistral. Nous avons alors accueilli nos premiers animaux : 5 brebis sauvées de l’abattoir.

Nous nous sommes accordé un an de « test » pour être sûrs de pouvoir déjà assumer la prise en charge de ces cinq individus sur nos fonds propres, sans aucune communication. Nous voulions avoir la certitude de pouvoir réussir cette étape avant de voir plus grand, et nous avions besoin de peaufiner encore notre projet. Au mois de février 2018, le studio Chickpeas nous a livré un magnifique site internet, et nous avons enfin communiqué sur l’existence de l’association et de son refuge.

 

Pourquoi avoir voulu créer un refuge ? Qu’essayez-vous de transmettre au public qui vient visiter Le Mistral ?

Ça va peut-être surprendre mais au départ c’était un projet un peu égoïste : nous voulions vivre au contact des animaux. Personnellement j’ai grandi à la campagne et j’ai toujours été entouré d’animaux, je ne pouvais pas imaginer rester loin d’eux, ou voir mes enfants perdre ce lien si précieux. L’idée de n’accueillir que des animaux sauvés de filières d’élevage s’est vite imposée à nous comme la seule en accord avec nos valeurs. Tout comme nous avons adopté notre chienne dans un refuge, nous ne pouvions pas imaginer acheter des animaux.

De là a découlé le projet d’un refuge pour les animaux dits « de rente », et l’objectif d’offrir une deuxième vie à des individus souvent brisés par l’exploitation. Très rapidement, nous avons su que nous voulions ouvrir ce lieu au public et surtout aux enfants, pour leur permettre de pouvoir mettre un visage et un caractère sur des termes génériques comme « le mouton », « la poule » etc. L’idée et de donner envie aux gens de poser un nouveau regard sur ces individus, et ainsi de peut-être faire des choix plus éclairés, mais sans culpabilisation ou jugement de notre part. Simplement en les laissant tisser une relation différente avec ces espèces qu’on invisibilise de plus en plus dans notre société.

Perle, la chèvre naine du Mistral

 

Qu’est-ce que cela vous apporte et apprend d’être au contact de ces animaux au quotidien ?

S’occuper d’animaux c’est quand même un peu l’école de la vie. On apprend la patience, le respect, l’empathie, le dévouement. Mais comme s’occuper de n’importe quels individus en fait ; c’est la même chose pour ceux qui prennent en charge et aident des enfants, des personnes en difficulté, des personnes âgées… Avec les animaux il y a à la fois un obstacle en plus, et des barrières en moins.

L’obstacle c’est évidemment le dialogue qui n’est pas possible. Même si on comprend certaines attitudes, et qu’on parvient à décrypter quelques comportements ; globalement les animaux ne peuvent pas nous dire grand chose. Il faut beaucoup de compétences et d’attention pour savoir si un animal souffre, s’il se sent bien, s’il manque de quelque chose. Tout serait évidemment plus simple s’ils pouvaient nous le dire directement.

Ça c’est l’obstacle de la parole, mais comme je le disais, il y a pleins de barrières qui n’existent plus quand vous interagissez avec eux. Vous n’avez plus à vous protéger derrière des apparences ou des faux-semblants. Vous pouvez être vous-mêmes, pas la peine de vous cacher. Et toutes leurs marques d’affection, de tendresse, de jeu, de gourmandise, d’excitation vous vont droit au cœur et vous touchent dans votre humanité. Voir un animal réapprendre à faire confiance aux humains et venir témoigner de cette confiance en posant sa tête contre vous… C’est une émotion indescriptible mais qui vous remplit de joie et de satisfaction.

Le refuge le Mistral recueille des animaux d'élevages et leur donne une seconde vie à l'abri de toute exploitation !

 

Peux-tu nous raconter un moment qui t’a particulièrement marqué depuis l’arrivée de tes pensionnaires ?

Il se passe tant de choses chaque jour ! Entre les personnes qui nous écrivent ou qui nous appellent, nous exposant des situations qui nous marquent beaucoup. Celles qui viennent rencontrer les animaux et qui se posent des questions sur leurs habitudes alimentaires. Les éleveurs qui cherchent à se reconvertir, à sauver leurs animaux, à ne pas les tuer et qui nous contactent pour qu’on les aide… Plein de situations concrètes, souvent très étonnantes, mais que nous devons traiter au quotidien.

Mais ce que nous aimons aussi, c’est observer le comportement de nos protégés. Dans mon parcours universitaire, j’ai suivi des cours d’éthologie et je l’ai pratiqué sur le terrain auprès de la faune sauvage. Mais on a finalement assez peu de documentation sur le comportement et les relations sociales des animaux d’élevage. Du coup, on ne se lasse pas de les regarder interagir entre eux, ou avec leur environnement. On a assisté à des disputes, à des expressions de domination ou de rejet. Il ne faut pas croire que c’est le monde des bisounours, ils ne sont pas plus ou moins gentils que nous, et cela n’a pas de sens de les considérer comme « bons » par nature. Néanmoins, ce sont les preuves de coopération et d’altruisme qui nous fascinent le plus. Par exemple, nous avons pu observer plusieurs fois une stratégie collective de résolution, visant à atteindre une ressource inaccessible pour un seul individu. Sur cette vidéo, on voit Ganja plier un jeune cerisier pour amener les feuilles à la hauteur de ses congénères.

Dans cette vidéo elle en mange aussi quelques unes, mais nous avons pu assister au même procédé sur un arbre plus grand : la brebis qui pliait le tronc ne pouvait alors pas manger les feuilles, mais maintenait tout de même l’arbre courbé pendant que les autres se régalaient. Encore une fois, j’insiste sur le fait que ces comportements sont assez exceptionnels, et qu’il est plus courant de les voir se jeter seules sur la nourriture avant que les autres ne la trouve. Il ne faut pas magnifier le monde animal qui n’a rien d’idéal ou de parfait. C’est d’ailleurs aussi pour ça que le terme de refuge nous convient beaucoup plus que celui de « sanctuaire », qui en plus de sa connotation quasi mystique, laisse entendre que tout serait paisible et facile dans un lieu accueillant des animaux : ce n’est clairement pas le cas !

 

Quels sont vos projets pour le Mistral pour la suite ?

L’objectif à court terme c’est de disposer d’un premier refuge pilote pratique et aménagé pour l’accueil d’une soixantaine d’individus. Nous souhaitons donc agrandir le Mistral en construisant de nouveaux bâtiments, en traçant de nouvelles clôtures délimitant des enclos, en creusant une mare, etc. L’idée est de pouvoir accueillir différentes espèces dans les meilleures conditions possibles, et de faciliter le travail des bénévoles dans l’entretien, le nourrissage et les soins apportés aux individus. Une fois le refuge réellement opérationnel, nous pourrons augmenter progressivement le nombre d’animaux pris en charge, toujours en développant les parrainages et les partenariats, afin d’avoir la garantie de pouvoir assurer les besoins de ses animaux sur le temps long.

Tous ces travaux seront réalisés par des bénévoles cet été et à l’automne lors de grands chantiers participatifs. Mais pour cela, nous devons tout d’abord réussir notre campagne de financement pour acheter les matériaux nécessaires à ces aménagements. Comme nous sommes un organisme à but non lucratif et d’intérêt général, chaque don fait à notre association, y compris sur cette campagne, donne droit à un reçu fiscal qui permet à son auteur d’en déduire 66% de ses impôts. Nous avons aussi réfléchi à des contreparties amusantes et uniques, on espère qu’elles plairont aux personnes qui ont envie d’œuvrer pour un projet concret et accessible !

 

Justement, qu’est-ce que cela a changé d’être présents sur le web ?

Plusieurs dizaines de membres nous ont rejoints depuis ! Nous avons récolté des dons qui nous ont aidé à acheter du foin, du grain, du matériel pour le soin des animaux… Et nos brebis ont aussi la chance d’être parrainées par de généreux donateurs qui prennent soin d’elles à distance en nous donnant quelques euros par mois, et qui, en échange, reçoivent régulièrement des photos et des vidéos de leur protégée. 
Mais surtout, on a été sollicités pour sauver ou faire adopter pleins de nouveaux animaux. Il y a eu Thunder évidemment, un petit agneau qui avait été abandonné près de Bordeaux. Mais aussi Perle, une chèvre naine saisie par notre vétérinaire. Et enfin Indiana, une brebis destinée à l’équarrissage que nous avons pu sauver grâce à une opération d’urgence.

Nous développons également le volet « adoptions » de notre action, l’idée est de réussir à faire sortir des animaux de l’exploitation ou de conditions indignes, pour les placer chez des particuliers. Car nous ne souhaitons pas être un simple refuge, destiné uniquement à quelques heureux animaux privilégiés mais très peu nombreux car les places seront forcément limitées. L’idée est de devenir une plateforme d’accueil et de soins avant de faire adopter des animaux en parfaite santé chez des gens, s’il le faut en les aidant à construire un abri, à clôturer leur terrain, etc.

 

Et enfin, quels seraient vos conseils à une personne intéressée par ouvrir un refuge ?

Nous leur conseillerions d’essayer de faire les choses dans l’ordre, par petites étapes, et de toujours garder le contrôle.

  • D’abord en montant une structure, par exemple une association de loi 1901. De ne surtout pas porter ça sur ses seules épaules. Ecrire des statuts et un règlement intérieur peut paraître lourd et ennuyeux, une paperasse inutile et purement administrative. Mais en fait, c’est en couchant noir sur blanc tout le cadre de nos actions qu’on prend conscience des difficultés à venir, des limites, des compromis qu’il va falloir faire, des exigences que cela va comporter, etc. Le projet évolue donc énormément à ce moment là.
  • Il est aussi nécessaire de se déclarer en préfecture pour pouvoir prendre en charge des animaux de ferme. On obtient alors un « numéro d’exploitant » (sic), c’est absolument nécessaire car des animaux non identifiés peuvent être saisis et abattus sur le champ. Ce serait donc les mettre en danger de ne pas respecter la loi. D’autant que cette réglementation permet un suivi vétérinaire, des alertes et des mesures de confinement en cas d’épidémies ou de zoonose, etc.
  • Ensuite il faut réfléchir à un modèle économique : comment allez-vous payer la nourriture, les soins vétérinaires, les médicaments, le matériel ? Sauver un animal signifie pouvoir l’assumer entièrement jusqu’à sa mort naturelle. C’est à dire pouvoir héberger, nourrir et soigner un animal qui va peut-être vivre 20 ou 25 ans. Avec des coûts qui peuvent atteindre 50 ou 80 euros par mois pour les espèces qui coûtent le plus cher à l’entretien. Soit près de 900 euros par an, sans compter les frais vétérinaires et les imprévus. Compter seulement sur des dons ponctuels, ou des appels d’urgence, mettant les gens devant le fait accompli et jouant avec leur sensibilité, n’est pas une solution durable et pérenne.
  • 
Après, vous pouvez commencer à accueillir des animaux. Petit à petit, en gardant toujours à l’esprit que sauver l’animal de trop peut mettre en péril tous les autres. Tant au point de vue sanitaire que financier. Malheureusement il faudra très vite apprendre à refuser certaines demandes, même si c’est un crève-cœur c’est une nécessité absolue, au risque de se voir submergé et de risquer de ne plus pouvoir assumer le reste de vos protégés.
  • Enfin, deux derniers conseils pour terminer : nous vous conseillons de ne pas sauver des animaux contre de l’argent, car cela participe à la pérennisation de l’élevage en valorisant les individus extraits, dont le producteur tire alors un bénéfice. Mais nous ne vous conseillons pas non plus de voler ou de récupérer des animaux volés. Non seulement vous ne pourrez pas les déclarer en préfecture, et ils pourraient être saisis n’importe quand et abattus. De plus, cela pourrait également vous coûter extrêmement cher en frais de justice et en condamnations diverses, plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’euros. Soit beaucoup d’argent que vous ne pourrez pas utiliser pour soigner et nourrir d’autres animaux Sans compter que cela vous empêcherait aussi de pouvoir accueillir du public, ce qui serait regrettable car rendrait invisible votre initiative et priverait vos actions d’une part essentielle de leur objectif : amener les gens à avoir un autre rapport aux animaux.

Un grand merci à Clément pour son engagement et d’avoir pris quelques minutes pour répondre à mes questions !

 

Concrètement, que pouvez-vous faire pour soutenir Altervita ?

👉 Participer à la campagne de financement participative : afin que le refuge puisse recueillir plus d’animaux (9 moutons & chèvres, 2 cochons, 25 poules, 15 canards et 20 lapins!)

👉 Devenez parrain ou marraine d’un des pensionnaires du refuge : une personne souhaitant parrainer un animal accepte de verser un minimum de 2€ par mois qui serviront directement aux soins, à l’alimentation et au confort de l’animal choisi. Ce parrainage peut-être interrompu à tout moment. Comme le rappelle Clément sur le site : « Chaque don est important ! Avec 1€ par exemple, on peut déjà acheter une botte de foin ! » De mon côté, je marraine Fanélie !

👉 Parlez-en autour de vous : vous n’êtes peut-être pas en mesure de faire un don, mais vous pouvez partager la campagne de financement et cet article autour de vous, à vos proches, sur vos réseaux sociaux…

[bctt tweet= »Coup de coeur pour Le Mistral, un refuge pour animaux d’élevage qui cherche à faire évoluer notre regard sur leur sensibilité. @AltervitaAsso » username= »Madame_Carotte »]

👉 Participer à un chantier participatif à partir d’aout : être bénévole le temps d’un week end pour aider aux travaux d’agrandissement, ça vous dit ? Alors je vous invite à suivre les actualités d’Altervita sur ses réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram.

 

Soutenez la campagne participative du refuge le Mistral !

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5 Comments

  1. 1

    Génial !
    Merci pour cette interview, j’aime beaucoup ce principe de refuge, sanctuaire ; ce sont vraiment des initiatives qui doivent se développer pour assurer un avenir aux animaux dits d’élevage.
    Je pense demander au Krapo si je peux venir donner un coup de main à partir de Septembre, ça me tenterait énormément …

  2. 3
  3. 5

    Absolument !
    Entre mon cheval et les juments qui l’entourent, ce n’est pas tendre au moment de la bouffe, heureusement qu’ils ont de la place pour dégager et éviter de jolies ruades ^^

    Ah ça serait super de s’y rencontrer !

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