Et l’Homme créa la vache [Docu]

Et l’Homme créa la vache est le titre d’un documentaire arte. Le nom n’aurait pas pu être mieux trouvé. Aussi instructif que désopilant, on y apprend en détails comment l’Homme, en jouant les petits chimistes et essayant de maîtriser la Nature, a fabriqué la vache telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Crédit: Jo-Anne McArthur | WeAnimals

Au commencement était l’auroch

Il y a 10 000 ans, il n’y avait pas de vaches ni de taureaux, mais des aurochs. Ce sont des aurochs qu’on voit (entre autres) dans les grottes de Lascaux par exemple. Et puis un jour l’homme a décidé de boire son lait : l’auroch est devenu la vache. Une vache façonnée au fil des siècles au rythme des progrès scientifiques pour couvrir les envies de lait de l’Homme.

La Prim’Holstein : naissance de la vache à lait sur fond de manipulation génétique

Prenons l’exemple de la Prim’Holstein, surnommée la Formule 1 du lait (vous savez, la fameuses vache noire et blanche). Elle est d’abord apparue à la fin du 19ème siècle aux Pays-Bas, dans la Frise (on notera donc que rapporté à l’histoire de l’Homo Sapiens, c’est très récent). La « frisonne », l’ancêtre de la Holstein, est identifiée comme une race bovine produisant plus de lait que les autres et exportée aux Etats-Unis où elle y est croisée en 1922 avec une race locale. Pari réussi : en quelques années, sa production de lait triple.

Crédit: Unsplash (Angelina Litvin)

Il faut attendre l’industrialisation de l’après-guerre pour que la Holstein soit réimportée en Europe. En 1966, 400 Holstein sont ainsi exportées des Etats-Unis vers l’Europe. Elles sont toutes raflées par un investisseur, qui crée la première ferme industrielle : une ferme de 400 vaches (vous les voyez venir les prémices de la ferme des 1000 vaches?) C’est le premier scandale autour de l’élevage intensif…

L’état lance alors un programme d’amélioration génétique (comprendre : on veut rendre les vaches les plus productives possibles). L’insémination artificielle se généralise.

Crédit: Jo-Anne McArthur | We Animals

Le business du sperme de taureaux

Concrètement, comment améliore-t-on génétiquement une race de vaches? Via ce qu’on appelle le « testage sur descendance ». Pendant 5 ans, on analyse la production de lait des vaches, sur 3 générations. A l’issue de ces 5 ans, on identifie alors les meilleurs taureaux, ceux qui auront engendrés les femelles les plus productives. On leur attribue une « valeur génétique ».

Et comme tout concours, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. L’industrie ne garde que le top 10% des taureaux, ceux qui auront la meilleure valeur génétique. C’est ce qu’on appelle le « star system ». Imaginez The Voice version mamelles (petite note au passage : tous les mots entre guillemets sont les termes officiels de l’industrie et ceux utilisés dans le documentaire). Les heureux élus auront gagné le droit d’éjaculer dans un tube en plastique après avoir été émoussés par des bœufs qui se font monter dessus 20 fois par jour. Surtout n’utilisons pas de femelles, il ne faudrait pas risquer un véritable accouplement et perdre ainsi de la précieuse semence. Avec le sperme récolté –pardon on dit « éjaculat », c’est plus classe- on peut ensuite faire entre 100 et 1000 doses qui seront vendues aux éleveurs pour inséminer leurs femelles. Que c’est beau le spectacle de la Nature!

A l’image de Jocko Besne, ce taureau star ayant engendré 400 000 filles, et qui « n’a jamais vu une femelle de sa vie » nous dit fièrement un éleveur. Mais attention, ce Rocco Si Fredi de l’industrie laitière était tellement prisé qu’il a été décidé qu’il ne partirait jamais à l’abattoir. Une petite retraite offerte par l’industrie, toujours sans vache, pour le remercier de ses bons et loyaux services de distributeur automatique de sperme pendant seize ans. Une bien maigre récompense pour ce taureau qui a fait gagner en tout et pour tout plus de 15 millions d’euros à l’industrie… Mais un sort qui reste malgré tout plus enviable que celui des autres taureaux sélectionnés pour leurs génétiques : ces derniers officient pendant 1 ou 2 ans avant d’être remplacés (envoyés à l’abattoir donc) par des taureaux plus jeunes dont les gênes seront mieux notés.

Jocko Besne n’a jamais vu une femelle de sa vie, mais il a eu le droit d’avoir sa statue sur un rond-point… | Crédit: Scuplture par George Fortuna. ©Evolution

Alors, le problème dans tout ça, vous le voyez venir ? Je ne parle même pas du problème éthique évident que de telles pratiques posent, mais du problème de consanguinité qu’elles engendrent. Il existe aujourd’hui 20 millions d’Holstein. Si on remonte leurs arbres généalogiques, on arrive à un total de… 5 géniteurs au siècle dernier. Forcément, ça coince, et les anomalies se multiplient depuis les années 90s. Alors les chercheurs tentent bien sûr d’éviter le problème, en proposant des « plans de reproductions ». Oui, il y a des gens dont le métier est donc de conseiller quelle semence utiliser sur telle ou telle vache pour obtenir une descendance au rendement maximal et éviter les risques de consanguinité.

 

C’est quoi une vache parfaite?

On vient de parler de la valeur génétique d’un taureau, mais quid de celle de la vache ? Pour elle aussi, on va définir la valeur génétique (ou sa rentabilité si vous préférez). Pour la vache à lait, la Holstein, celle-ci est établie selon 6 critères :

  • Production de lait : elle sera traite 3 fois par jour.
  • Fertilité: elle donnera naissance 3 fois au cours de ses 5 années d’existence. Si c’est une femelle, elle deviendra vache laitière, comme maman. Si c’est un mâle, il sera abattu pour fournir de la viande de veau (une viande dont la couleur blanche n’a soit dit en passant rien de naturel, mais est une conséquence d’une déficience en fer voulue par l’industrie pour ne pas que la viande devienne rouge).
  • Durée de traite : le temps c’est de l’argent, alors si la vache peut être traite rapidement, c’est mieux.
  • Santé : il ne faut pas qu’elle coûte trop chère en soins vétérinaires.
  • Longévité : la vache sera abattue lorsque la vente de son lait ne couvre plus le coût de ses aliments, ce qui varie en fonction du prix du lait et du cours de l’euro. On dit alors que la vache est « réformée » (une manière élégante de dire qu’elle part à l’abattoir pour finir en steak haché).
  • Morphologie : sont pris en compte ici 3 sous-critères. Des pattes robustes, des ischions écartés pour faciliter le velage, et -le meilleur pour la fin- la forme des mamelles qui doit être la plus adaptée possible au robot de traite. Vous noterez que c’est donc à la vache de s’adapter à la machine. A méditer la prochaine fois que vous achèterez un pantalon : c’est à vous d’adapter vos jambes à la forme du pantalon, pas l’inverse.

Crédit: Jo-Anne McArthur | We Animals

Voilà donc pour la vache laitière, qui est vraiment le sujet central du documentaire. Mais la vache à viande n’est pas non plus en reste. Comme la Blanc Bleu Belge par exemple, qui semble être une version bovine d’Arnold Schwarzenegger. Pourtant, elle n’est pas bourrée d’hormones comme on peut souvent le lire (cette pratique étant par ailleurs interdite en France). Cette race est elle aussi le résultat de mutations génétiques orchestrées par l’industrie, dans le but de développer plus de muscles, et donc avoir plus de viande à vendre avec une seule vache. La carcasse n’en sera que plus chère. Mais à quel prix ? Imaginez la difficulté de ces animaux à se déplacer. Cette nouvelle morphologie ne permet d’ailleurs pas aux vaches -inséminées trop jeunes- de mettre bas par voie naturelle. Elles doivent donc mettre bas par césarienne.

La race Bleu Blanc Belge est issue d’une mutation génétique pour développer l’arrière-train

 

Bref, à vouloir ainsi maîtriser et dompter le vivant au nom du profit en en oubliant que le vivant n’est pas un produit marchant, on en arrive à des aberrations. Des aberrations dont les animaux non humains sont toujours les premières victimes (je vous passe le moment où il est expliqué qu’on étudie la possibilité de faire produire du lait humain à des vaches, grâce une vache porteuse de deux gênes humains…).

[bctt tweet= »Sélection génétique, insémination: comment l’homme a littéralement créé la #vache » username= »Madame_Carotte »]

👉 Voir le documentaire « Et l’Homme créa la vache » (55 minutes chrono, ça vaut vraiment le coup !) Si jamais le lien ne fonctionne pas, le documentaire peut se trouver facilement sur YouTube / Dailymotion ou sur la boutique en ligne d’arte.

 

Pour aller plus loin:

L’élevage industriel pour les nuls

Fair Oaks Farm: une ferme-usine de 40 000 vaches qui se visite comme Disneyland

http://www.la-carotte-masquee.com/fair-oaks-farm/http://www.la-carotte-masquee.com/mythe-boire-lait-vache/http://www.la-carotte-masquee.com/mythe-boire-lait-vache/Enregistrer

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11 Comments

  1. 1
  2. 3

    Merci pour cet article très instructif ! Je viens de regarder le documentaire et tu résumes très bien les problématiques qu’il soulève (de manière très objective je trouve). Je savais bien qu’il n’y avait rien de naturel dans le processus de production de lait de vache, mais grâce à ce documentaire j’ai appris des détails vraiment effarants qui montrent bien que le lait de vache n’a absolument rien de naturel ni d’éthique, et ce quel que soit le contexte et les conditions dans lesquelles il est produit… puisque toutes les vaches exploitées aujourd’hui, même dans les « petits élevages bio » sont le fruit de manipulations génétiques… J’étais déçue du documentaire diffusé sur Arte il y a quelques mois à propos du véganisme, mais avec celui-là, Arte se rattrape plutôt bien !

    • 4

      Merci Natasha pour ton commentaire. Je ne te réponds que maintenant car je viens de découvrir que nombres de commentaires avaient été classés comme « indésirables », le tien en faisait étonnamment partie :/ Je suis ravie que tu ais trouvé le documentaire intéressant, encore merci de l’avoir partagé sur ta page 🙂

  3. 5

    J’ai vécu ça de prêt pendant 3ans, j’étais agent de pesée au contrôle laitier de mon département. En gros je faisais la traite chez les éleveurs pour récupérer un échantillon de lait par vache pour contrôler la qualité de leur lait. Les éleveurs étant payés en fonction de cette qualité, ils sont donc contraints de faire de la sélection en écartant les vaches qui produisent du lait avec des taux moyens. Je ne les défends pas mais certains d’entre eux sont conscients aujourd’hui que la génétique est allée trop loin. Certain essayent de retrouver des gênes plus rustiques au détriment de la productivité, car en privilégiant ce gêne productiviste, ils ont créé des vaches très fragile. C’est aberrant!
    Le sujet est vaste surtout quand on sait qu’aux États-Unis, ils ont droit de cloner les reproducteurs pour continuer à gagner encore plus d’argent. Ce qui fait qu’aujourd’hui, même si le clonage est interdit en France nous mangeons quand même de la viande cloner, car certains éleveurs passionnés de génétique achètent des paillettes outre atlantique.
    Merci pour ton article, je vais regarder ce documentaire avec beaucoup d’intérêts!

    • 6

      Merci beaucoup Julie pour ce complément d’information très intéressant. C’est sûr que ce n’est pas tout noir ou tout blanc, et loin de moi l’idée de dire que les éleveurs sont tous des salopards. Comme partout, il y en aura des plus ou moins sensibles aux dérives de ce système, dont certains sont aussi victimes du fait de la course au rendement qui les force à mettre en place certaines pratique qu’ils ne cautionnent pas forcément. J’espère simplement que de plus en plus d’entre eux auront le courage et la volonté de dire non et de se tourner vers d’autres types de production par exemple (c’est tout un système à revoir, avec l’état qui devrait jouer un rôle d’accompagnement).
      J’espère que le documentaire te plaira et t’apportera des choses que tu ne connaisses pas déjà!

  4. 7

    Tu as piqué ma curiosité, j’ai donc regardé le documentaire Arte, en compagnie de mon amoureux (fort aimable mais fort carnivore aussi). Quand on regarde ça, on a du mal à ne pas se dire que nous sommes des monstres, des grands malades qui pensent normal de tout contrôler, et tout transformer, même des êtres sensibles. Ce doc m’a aussi fait penser à l’argument anti-vg « non mais si on ne mange plus de viande, qu’est-ce qu’ils vont devenir ces animaux, ils vont disparaître » ! Et bien dans le cas des vaches, si nous n’avions pas joué aux vétérinaires fous, l’auroch existerait peut-être encore à l’état sauvage, ou aurait disparu, mais nous ne nous serions pas retrouvés avec des millions de vaches-productrices-de-lait-de-veau-que-l’on-va-quand-même-boire. L’être humain manque parfois cruellement de bon sens, quand même.

    • 8

      Merci pour ton gentil retour Morgane. Et pareil que toi pour le « Ce doc m’a aussi fait penser à l’argument anti-vg « non mais si on ne mange plus de viande, qu’est-ce qu’ils vont devenir ces animaux, ils vont disparaître » ! » on se prend pour des apprentis sorciers sans penser aux conséquences immédiates pour l’animal, ni à long terme pour la planète. 🙁 qu’en a pensé ton amoureux du coup?

      • 9

        Et bien sa réaction fut assez intéressante, et m’a rappelée à quel point la sensibilité varie d’un individu à un autre… Alors autant ce qui m’a surtout révoltée dans ce documentaire était le manque d’éthique criant de ce genre de pratiques, chez lui ça a plutôt éveillé une grande inquiétude quant aux risques pour la santé de manger ces animaux à peu près tous consanguins… Je ne perd pas espoir qu’il devienne vg un jour (le coté hypocondriaque aidant ^^) !
        C’est tellement dommage que ce type de documentaires ne passe pas sur des chaines plus mainstream qu’Arte ! Je pense vraiment que la plus grande majorité de la population qui consomme du lait a cette image de la vache super heureuse qui se balade dans les champs, à côté de son papa et de sa maman…

        • 10

          « quant aux risques pour la santé de manger ces animaux » *Manger, ou bien sur consommer des produits provenant de ces animaux dans le cas du lait !

        • 11

          Merci Morgane pour ta réponse. Oui nous avons tous et toutes des réactions différentes devant ce genre de documentaires. Moi aussi c’est évidemment la question éthique qui m’a sautée aux yeux. Mais si l’argument de la santé peut convaincre, alors tant mieux 🙂

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