Les grands textes fondateurs de l’écologie [Livre]

Les grands textes fondateurs de l’écologie est un recueil qui, comme son titre l’indique, regroupe 26 textes ou extraits de textes ayant joué une place importante dans l’avènement et l’évolution de l’écologie du début du 19ème siècle à nos jours. Ces textes ont été choisis et présentés pas Ariane Debourdeau, chercheuse à l’université Paris Didrecot et l’Université libre de Bruxelles. Comme l’auteure le souligne, l’ouvrage n’a pas pour vocation à être exhaustif et de retracer l’histoire de l’écologie en détail, mais plutôt d’être un « guide de voyage ».

De Carl Linné à Paul Watson, en passant par Vandana Shiva et Arne Naess, la diversité des auteur.es choisi.es nous plonge au cœur des problématiques changeantes en fonction des époques et des géographies.

 

Présentation de l’ouvrage Les grands textes fondateurs de l’écologie

Le recueil se divise en 3 parties, dont je vous propose ici une présentation rapide, sans aller dans le détail de chacun des 26 textes, ce qui serait pour vous d’un ennui mortel !

Du naturalisme à l’écologie

Cette section met en évidence le rôle fondamental des sciences de la nature dans l’émergence de la pensée environnementaliste. Ce sont en effet grâce aux naturalistes du 19ème siècle que les idées d’écosystème et d‘interdépendance entre les espèces végétales et animales s’imposent peu à peu. A commencer par Carl Von Linné, le premier à parler en 1805 d’un « système de la Nature », si parfait qu’il ne l’attribue à Dieu :

« En méditant sur le système du monde, on sent qu’il est impossible qu’une si grande harmonie se conserve sans régisseur, et que des mouvement si réguliers soient soumis au hasard ».

Il faudra attendre les expéditions de naturalistes comme celles d’Alexander Von Humboldt ou Ernst Haeckel une cinquantaine d’années plus tard pour laïciser cette notion d’équilibre des systèmes. Les descriptions détaillées de leurs observations permettent ainsi d’établir les premières classifications d’espèces. Ce sont d’ailleurs grâce à ces expéditions que l’impact néfaste des activités humaines sur l’écosystème est mise en évident pour la 1ère fois par Jean-Baptiste Charcot concernant la chasse à la baleine dans l’Antarctique. C’est aussi à cette époque que l’éthologie fait son apparition, sous la plume de Jacob Von Uexküll, qui développe le concept « d’Umwelt », selon lequel il existe une pluralité de mondes, selon la perspective de l’espèce considérée.

 

Crises écologiques et menaces sur l’environnement

Cette partie est celle que j’ai trouvée la plus intéressante. Elle retrace la manière dont l’écologie s’est imposée dans la sphère publique dans les années 60/70, de part les catastrophes écologiques qui marquent fortement la conscience collective, dus à deux facteurs en particulier.

La Guerre du Vietnam d’une part, guerre écologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, on parle d’ « écocide », dû à l’utilisation de l’agent orange dont 80 millions de litres sont déversés dans le delta du Mékong entre 1961 et 1971. Cet herbicide détruira 20% des forêts du Sud du Vietnam et contaminera 400 000 hectares de terres agricoles, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Le texte de Nguyen Dang-Tam paru dans une revue scientifique en 1970 met ainsi en garde contre les dangers d’une guerre chimique, aux conséquences selon lui aussi désastreuses qu’une guerre nucléaire.

L’industrialisation croissante d’autre part. Dans son ouvrage Le Printemps Silencieux qui fera l’effet d’une bombe, Rachel Carson dénonce le 1er scandale écologique : celui du pesticide miracle DDT utilisé dans l’agriculture intensive. Un texte paru en 1962 mais encore tout à fait d’actualité.

«  Depuis le milieu des années 1940, plus de cent produits ont été créés pour tuer les insectes, les mauvaises herbes, les rongeurs, tout ce que le gardon moderne appelle les « nuisibles ». […] Sprays, poudres, aérosols, sont utilisés presque universellement dans les fermes, les jardins, les forêts, les maisons d’habitation ; ce sont des produits non sélectifs, qui tuent aussi bien les « bons » insectes que les « mauvais », qui éteignent le chant des oiseaux, coupent l’élan des poissons dans les rivières, enduisent les feuilles d’une pellicule mortelle, et demeurent à l’affût dans le sol ; tout cela pour détruire une poignée d’herbes folles ou une malheureuse fourmilière. Est-il réellement possible de tendre pareils barrages de poison sur a Terre sans rendre notre planète impropre à toute vie ? Ces produits de devraient pas être étiquetés « insecticides » mais « biocides ».

 

Ces événement ouvrent la voie à des idées qui se matérialisent dans le champ du droit, de l’économie et de la politique. En droit tout d’abord, Christopher D. Stone publie en 1972 Les arbres peuvent-ils agir en justice ?, dans lequel il propose de manière tout à fait sérieuse d’étendre le statut de « sujet de droit » aux rivières, arbres, etc., comme une continuité de l’extension des droits aux étrangers, aux femmes, aux Noirs, etc. Il évoque à juste titre que si les entreprises peuvent bien agir en justice sans être une personne physique, alors pourquoi pas la nature? Vous constaterez que l’extrait ci-dessous fait 100% écho à la problématique actuelle d’étendre des droits aux animaux non-humains :

« Le fait est que chaque fois qu’un mouvement vise à conférer des droits à quelque « entité » nouvelle, la proposition paraît nécessairement effrayante ou risible. On le doit en partie au fait que jusqu’à ce que cette entité reçoive des droits qui lui faisaient défaut, nous ne pouvons la voir autrement que comme une chose destinée à « notre » usage, à nous qui sommes déjà détenteurs de droits. […] La situation est pour le moins paradoxale : il y a des réticences à conférer des « droits » à une entité tant que celle-ci n’est pas considérée et estimée pour elle-même ; or il est difficile de la considérer et estimée pour elle-même tant que l’on ne se résout pas à lui donner des « droits », ce qui paraît inévitablement inconcevable à un grand nombre de personnes. ».

 

En économie ensuite. Pour la première fois est émise l’idée que la décroissance est la seule issue possible pour préserver l’environnement. Les économistes Nicholas Georgescu-Roegen et André Groz (dont les écrits font écho aux propos actuels de Pierre Rabhi), rejettent ainsi l’idée d’une croissance ‘’limitée » prônée par le club de Rome.

« C’est une maladie de l’esprit que de jeter une veste ou bien un meuble alors qu’ils sont en mesure de rendre les services que l’on est en droit d’attendre. Et c’est même un crime bioéconomique que d’acheter une « nouvelle » voiture chaque année et de réaménager sa maison tous les deux ans. […] Il est nécessaire que les marchandises durables soient rendues plus durables encore en étant conçues comme réparables. » — Nicholas Georgescu-Roegen

« Même stabilisée, la consommation de ressources limitées finira invévitablement par les épuiser complètement, la question n’est donc point de ne pas consommer de plus en plus, mais de consommer de moins en moins : il n’y a pas d’autres moyen de ménager les stocks naturels pour les générations futures. » — André Gorz

 

En politique enfin. En France, la décroissance et le minimalisme sont incarnés par René Dumont, candidat à l’élection présidentielle de 1974. Bien qu’il ne récole qu’1,32% des voix, il marque l’avènement d’une « écologie politique », un courant plus radical de la gauche. Son programme, anticapitaliste et tiers-mondiste mérite vraiment d’être lu  si vous le pouvez ! Il propose par exemple d’ « établir une justice sociale permettant une qualité de vie qui ne soit plus basée sur l’accumulation de biens matériels, mais sur la recherche de relations humaines fraternelles. La société de demain que nous recherchons, plus en accord avec la nature, permettrait à chacun de s’épanouir dans le dévouement à la collectivité » 

 

Philosophie de l’écologie et mutation du rapport à l’environnement

C’est grâce à la philosophie que l’écologie gagne de l’ampleur dans les 80/90s. Cette partie se concentre ainsi sur la pluralité des manières dont les philosophes considèrent le rapport homme / nature.

L’espèce humaine ne peut en effet plus se considérer comme extérieur à une nature dont elle dépend et qui dépend à son tour d’elle, comme en témoigne des catastrophes comme Tchernobyl. Pour Hans Jonas, auteur du fameux Principe de Responsabilité, il incombe à l’espère humaine, seule capable de responsabilité, de préserver la Terre pour les générations futures :

« Agis constamment en sorte que les conséquences de ton action demeurent compatibles avec la persistance d’une vie authentiquement humaine sur cette Terre. »

 

Pour les partisans de la deep ecology (écologie profonde, en opposition à l’écologie « superficielle » accusée de ne se concentrer uniquement sur la pollution et l’épuisement des ressources), il s’agit de retrouver un rapport d’osmose et de symbiose à la nature, et en lieu de celui cartésien de « maîtres et possesseurs ». Notons au passage que la deep ecology a une influence indéniable sur l’antispécisme, son fondateur Arne Naess conférant une valeur intrinsèque à toutes formes de vie :

« Nous ne disons pas que tout être vivant a la même valeur que l’humain, mais qu’il possède une valeur intrinsèque qui n’est pas quantifiable. IL n’est ni égal ou inégal. Il a un droit à vivre et à s’épanouir. Je peux tuer un moustique s’il est sur le visage de mon bébé, mais je ne dirai jamais que j’ai un droit à la vie supérieur à celui d’un moustique ».

 

Ce passage de l’anthropocentrisme au biocentrisme se retrouve aussi en droit sous la plume de Michel Serres, qui revendique, dans la lignée de Les arbres peuvent-ils agir en justice ? évoqué ci-avant, un « Contrat Naturel », qui serait une extension du contrat social rousseauiste à tous les objets du vivant, afin que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 devienne pleinement universelle. Je dois dire que je me suis délectée de ce texte dans lequel Michel Serres compare tout à tour l’espèce humaine à un parasite en train de tuer son hôte (la Terre) puis à un animal marquant son territoire en le salissant. Il nous met aussi en garde contre notre société du très court terme face à une sauvegarde de la Nature qui, elle, ne peut que se faire sur le long terme.

« Une espèce vivante, la nôtre, réussit à exclure toutes les autres de sa niche maintenant globale : comment pourrait-elles se nourrir de ou habiter dans ce que nous couvrons d’immondices ? Si le monde sali court quelque danger, cela provient de notre exclusive appropriation des choses ».

 

Le recueil se termine par un texte du philosophe Peter Sloterdijk qui prévoit un combat des idées entre les partisans du minimalisme comme solution aux problèmes écologiques, et ceux de la croissance comme garant du confort de vie. « Nous allons devoir choisir entre l’éthique du feu d’artifice et celle de l’ascèse ». Et de conclure que la solution ne se trouve ni dans un camp ni dans l’autre, mais à mi-chemin, grâce à l’innovation, et en particulier au biomimétisme qui nous permettrait de réinventer positivement l’interaction entre technique et environnement.

 

Mon avis sur Les grands textes fondateurs de l’écologie

Un ouvrage très intéressant, cela va sans dire ! J’ai commandé cet ouvrage dans la perspective d’en savoir plus sur la deep ecology d’Arne Naess et le Principe de responsabilité d’Hans Jonas. Ce sont au final d’autres textes qui m’ont le plus intéressée et permis de mieux saisir comment l’écologie a pu émerger. Cela m’a aussi donné envie de creuser davantage certains textes, comme par exemple celui de Paul Watson sur la nécessité de l’action directe comme arme économique, posant la question de la légitimité primant sur la légalité. Ou encore celui de Vandana Shiva, pour qui l’agriculture intensive capitaliste est un modèle patriarcal dont les femmes indiennes tentent de se défaire pour préserver la biodiversité de la Terre.

 

Gros bémol cependant : je ne qualifierais pas cet ouvrage « d’accessible ». J’ai bien dû m’y reprendre à 3 ou 4 fois pour comprendre certains textes de la 1ère et 3ème partie avant de m’avouer vaincue. Chaque texte est par ailleurs présenté par Ariane Debourdeau, donc la plume académique transparaît, avec des références pointues et techniques que je doute que le commun des mortels saisisse toujours.

Autre petit bémol, mais qui n’est pas inhérent au recueil mais plutôt au contenu des textes mêmes : une approche anthropocentrique d’une bonne partie des textes, plutôt que biocentrique. Grosso modo, « s’il faut sauver la planète, c’est avant tout pour nous-sauver nous-mêmes ». J’ai trouvé cela d’une part surprenant pour des textes écologiques (littéralement « science de l’habitat », et donc à fortiori de TOUS ses habitants) , et par ailleurs dérangeant pour l’antispécisme dont je me réclame.

[bctt tweet= »Tour d’horizon de 26 textes ayant joué un rôle clé dans l’émergence de l’ #écologie. http://www.la-carotte-masquee.com/grands-textes-fondateurs-ecologie/ » username= »Madame_Carotte »]

Cependant, cela ne devrait pas à mon sens dissuader les curieux et curieuses de lire cet ouvrage. Vous pouvez toujours passer rapidement sur les textes qui vous parlent moins et approfondir ceux que vous jugerez les plus intéressants. Quoiqu’il en soit, du fait de la pluralité des textes et points de vue des textes, il me semble que n’importe qui pourrait y trouver matière à réfléchir.

Connaissiez-vous cet ouvrage? Cela vous donne-t-il envie de le lire?

👉 Paru en 2013 | Commander Les Grands Textes Fondateurs de l’écologie (10 euros).

Ma petite bibliothèque antispéciste

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4 Comments

  1. 1

    J’adore faire un tour sur mes blogs préférés, et voir qu’il y a 2-3 nouveaux articles que je n’ai pas encore lus ! Ça fait l’effet d’un cadeau inattendu… J’ai rajouté ce bouquin dans ma wish-list, en me disant aussi qu’il devrait faire partie des rares ouvrages qui parlent d’écologie de façon plus positive. Et en plus de ça, j’admets que je ne connais pratiquement rien à l’histoire de l’écologie, un manque que ton article m’a rappelé que je dois combler !

    • 2

      Je comprends tout à fait ce sentiment, j’aime aussi parcourir mon feedly et y découvrir de nouveaux articles (dont ce matin tes 5 recettes de petits dej vegans ;)). Je suis ravie que l’article t’ait lu, c’était aussi ma démarche en l’achetant. Je serais curieuse, si tu le lis, de savoir ce que tu en penses !

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