Fair Oaks Farm: une ferme-usine de 40 000 vaches qui se visite comme Disneyland

Fair Oaks Farm, vous connaissez ? Il s’agit d’une exploitation laitière située dans le Nord des Etats-Unis, entre Chicago et Indianapolis. Aves ses quelques 40 000 vaches, c’est une des plus grosses fermes-usines du pays.

Mais Fair Oaks Farm n’est pas une ferme comme les autres. Outre sa taille démentielle, la ferme s’est réinventée en parc d’attractions à visée soi-disant éducative. Moyennant 30$ l’entrée pour un adulte, vous aurez accès à ce Disney agricole dont les attractions principales sont des vaches et des cochons. Ne riez pas, c’est une des principales attractions touristiques de l’état d’Indiana, attirant pas moins de 600 000 visiteurs par an.

Bienvenu.e dans le monde merveilleux de Fair Oaks Farm. Installez-vous bien confortablement sur votre chaise, je vous emmène y faire un tour (prévoir sac à vomis à la fin de la visite).

Fair Oaks Farm : une ferme XXL qui peut se visiter

Fair Oaks Farm, c’est 40 000 vaches et 7 000 truies (et bientôt des bœufs et des poulets). Une méga ferme-usine qui a de de quoi faire pâlir sa cousine française : la ferme des 1000 vaches dans la Somme.

Cette méga ferme, qui se dit à visée « pédagogique », souhaite, dans sa grande mansuétude, informer sur deux choses : l’agriculture de demain et le provenance de la nourriture. Pour le premier point, c’est bien simple. Fermes-usines, gigantisme des exploitations et monocultures sont présentés comme les uniques solutions pour répondre au défi agricole de demain : nourrir 9 milliards d’individus.

Ici, chaque vache produit 8 500 litres de lait par an. Nous sommes une référence pour tous ceux qui s’intéressent à ce type d’élevage. Des Russes et des Chinois veulent s’inspirer de notre expérience. 

— Jed Stockton, directeur de la communication de la ferme.

 

Pour le second point, il s’agit de rassurer le ou la consommateur.rice sur la provenance du contenu de son assiette. Tout ça, dans la joie et la bonne humeur d’une sortie familiale. Sur le site internet on peut d’ailleurs lire (attention, ça va piquer les yeux) :

This weekend escape to the country where you can explore family farms and reconnect with nature, animals and our planet. [Ce weekend, évadez-vous à la campagne, où vous pourrez découvrir des fermes familiales et vous reconnecter avec la nature, les animaux et la planète].

C’est vrai que visiter une ferme où 40 000 vaches sont entassées dans des hangars est une manière particulièrement efficace pour se reconnecter à Mère Nature (on passe aussi sur la définition de la ferme familiale, on ne doit pas avoir le même Larousse).

 

Je sens que vous êtes presque convaincu.e, alors je ne fais plus durer le suspense et vous dévoile ce que vous pourrez faire une fois arrivé.e à Fair Oaks Farm.

 

Quelles activités sont proposées à Fair Oaks Farm :

Fair Oaks Farm comprend trois zone d’activités : Dairy Adventure (pour le lait), Pig Adventure (pour le cochon) et The Crop Adventure (pour les semences).

The Dairy Adventure 

Cette section est celle des vaches, comme vous auriez pu vous en douter. A bord d’un bus climatisé qui vous déposera ensuite au gift shop (puisque, rappelons-le, le but est de se reconnecter avec la nature et la planète), vous pourrez visiter les hangars étables où vivent les vaches, ainsi que la salle de traite automatique.

La salle de traite de Fair Farm Oaks

Crédit: Dan Charles

 

Vous pourrez ensuite vous diriger vers l’attraction phare de Dairy Adventure : la nurserie. Dans les gradins d’un amphithéâtre, petit.es et grand.es pourront assister au spectacle du «  miracle de la vie » (ce sont les mots du site), à savoir la mise bas en direct live de vaches préalablement inséminées. Ils et elles pourront aussi voir les petits veaux téter des biberons. Fair Farm Oaks ne nous dit pas pourquoi le bébé est séparé de sa mère aussi peu de temps après la naissance, ni pourquoi il est nourri au biberon et non en train de téter sa mère. Un simple oubli de la direction sans doute.

the "miracle of life" de Fair Farm Oaks

Crédit: Dan Charles

Tout au long de ce parcours éducatif, des conseils nutritionnels sont bien évidemment donnés sur l’importance de boire du lait (#calcium). Vous pourrez même montrer à quel point le lait a rendu vos os solides en escaladant le mur d’une bouteille de lait géante.

Pig Adventure

Fort du succès de Dairy Adventure, Pig Adventure a vu le jour en 2013, grâce à de généreux donateurs du secteur de l’agrobusiness (Indiana Pork. Belstra Milling). Au programme ici : une visite de la ferme (toujours à bord du bus hein) et du centre éducatif, où vous apprendrez des faits très instructifs, comme par exemple d’où vient chaque morceau de porc. Pour les explications sur les capacités sensorielles et cognitives du cochon par contre, il faudra repasser. Une petite négligence, qu’on leur pardonne puisqu’il y a un toboggan en forme de bacon, et ça, c’est chouette, n’est-ce pas?

Vous pourrez ensuite pousser de nouveaux « ooohh » devant le « miracle de la vie » version porcinets roses cette fois-ci. Dans cette vidéo, des employées de Fair Oaks Farm nous en disent d’ailleurs un peu plus sur la manière dont ce miracle se produit. Il est vrai que ça semble vraiment magique : les truies sont dans des cages en fer et émoussées par le passage d’un sanglier à proximité, avant d’être inséminées artificiellement.

Et puisqu’une fois adulte, les cochons ne sont plus aussi mignons, vous pourrez au choix vous rendre à un des restaurants de la ferme manger un sandwich au jambon, ou apprendre des recettes pour bien cuisiner le porc.

 

The Crop Adventure

Le dernier né du parc a ouvert en 2016 grâce à une généreuse contribution de WinField de 12 millions de dollars (un semencier et vendeur de pesticides, un petit Monsanto pour faire simple). Dans cette section, vous pourrez rencontrer des agriculteurs.rices et vous familiariser avec les technologies modernes qui sauveront le monde de la famine.

D’autres activités ludiques vous attendent ensuite, comme par exemple creuser la terre à la rencontre des insectes, une activité malheureusement impossible dans son jardin, comme chacun.e le sait. Un peu paradoxal avec l’activité précédente soit dit-en passant, puisque les élevages intensifs appauvrissent les sols et les épandages de pesticides déciment les populations d’insectes. Mais je chipote, je chipote. Après tout, nous ne sommes pas à une incohérence près, enfouie sous tout un tas d’expériences 3D, 4D et interactives.

Crédit: Fair Oaks Farm

Voilà donc pour la jolie vitrine que Fair Oaks Farm nous présente. Passons donc maintenant aux coulisses.

 

Fair Oaks Farm : de la propagande en veux-tu en voilà

Forcément, derrière les paillettes, la réalité est moins glamour. Cette vitrine est une devanture, où nous sont présentées les naissances d’animaux d’élevage pour mieux nous faire oublier leurs morts. En effet, avant d’être un parc d’attraction, Fair Farm Oaks est une ferme-usine qui vend du lait et de la viande. Le spectacle des naissances est donc seulement la partie émergée de l’iceberg, celle qu’on veut bien nous montrer. Et puisque Fair Farm Oaks a tant à cœur d’informer les consommateurs.rices en toute transparence, la partie immergée devrait être tout autant divulguée. Or, pas un mot sur les maltraitances infligées aux cochons peu de temps après leur naissance (castration à vif, queue coupée, dents arrachées…), ni sur le fait que le veau est nourri au biberon car il est séparé de sa mère dont la production de lait est réservé aux humains, ou encore de ce qu’il advient concrètement de tous ces animaux devant lesquels on s’extasie.

De plus, Fair Farm Oaks met l’industrialisation de l’agriculture sur un piédestal. Ce serait LA solution à la faim dans le monde. Quand on sait que les fermes usines et les élevages intensifs aggravent justement le problème de la faim dans le monde, on se dit que c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité. La technologie n’est pas toujours synonyme d’avenir, surtout quand on parle du vivant. Cette mécanisation croissante de l’industrie agroalimentaire est un pas en arrière pour les animaux qu’on invisibilise encore plus et qu’on ne finit par voir plus que comme des objets. Alors que nos connaissances en éthologie s’étoffent de jour en jour, le spectre de l’animal machine de Descartes flotte toujours dangereusement au-dessus de nos têtes.

Enfin, autre point complètement passé sous silence : l’impact environnemental d’une telle ferme. Un porte-parole ose qualifier Fair Farm Oaks de « respectueuse de l’environnement. » Raison invoquée : l’usine transforme le fumier en énergie. Merci bien pour cet argument bien pourri. Silence radio en revanche sur la quantité astronomique d’eau nécessaire au fonctionnement d’une telle exploitation. Ou sur les émissions de gaz à effet de serre qu’elle dégage. Ou encore sur la dégradation des sols (je vous renvoie au documentaire Cowspiracy qui explique le lien entre production de viande et dégradation de l’environnement). J’ai eu beau chercher sur le site, il n’y a aucune section sur l’impact environnemental de Fair Farm Oaks, malgré qu’on puisse y lire que « Sustainability isn’t just something we claim, it’s how we live » [le développement durable n’est pas juste quelque chose que nous disons, c’est comment nous vivons]. Il faut donc les croire sur parole.

 

[bctt tweet= »Fair Oaks Farm: la ferme-usine de 40 000 vaches qui se visite aux US. #écologie #causeanimale » username= »Madame_Carotte »]

 

Quand je vois ça je me dis que vraiment, le chemin est long et fastidieux face à la désinformation omniprésente à laquelle nous expose les industriels et les lobbies. Ce lavage de cerveaux commence très jeune et contribue à fabriquer du consentement, nous faisant oublier que les animaux non-humains sont des êtres sentients dont la vie ne devrait pas se mesurer par une valeur marchande, mais par une valeur intrinsèque.

 

Malheureusement, Fair Farm Oaks a encore de beaux jours devant elle : deux prochaines attractions sont en construction (pour les poulets et le bœuf), ainsi qu’un hôtel avec piscine (toujours pour bien se reconnecter à la nature, c’est important).

 

Pour aller plus loin:

Et l’Homme créa la vache [Docu]

L’élevage industriel pour les nuls

Sources :

http://fofarms.com/adventures/crop-adventure

https://www.consoglobe.com/ferme-geante-fair-oaks-farms-cg/

http://www.npr.org/sections/thesalt/2014/12/25/372664332/inside-the-indiana-megadairy-making-coca-colas-new-milk

https://www.indystar.com/story/money/2017/02/03/fair-oaks-farms-adding-chicken-beef-attractions/97452694/

http://fofarms.com/uploads/default/files/32c9b066acbe7ec29425b7bb294c7dad.pdf

 

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8 Comments

  1. 1

    La seule chose qui me vient à l’esprit c’est : mon Dieu, mais comment est-ce possible? Comment peut-on croire une minute que ce genre de modèle est durable, respecte les animaux et tutti quanti? Comment peut-on se réjouir d’un tel spectacle d’animaux entassés et montrés comme des bêtes de foire? Comment, comment, comment? Même sans être vegan ou particulièrement concerné par la cause animale, comment peut-on cautionner de telles choses? comment peut-on même avoir l’idée de proposer de telles choses? Cela ne fait que renforcer ma conviction selon laquelle les 3/4 des gens sont totalement déconnectés de la nature….

    • 2

      Ah complètement, je crois bien que les gens sont déconnectés de la Nature. Il n’y a qu’à voir le nombre d’enfants qui quand tu leur demandes de dessiner un poisson, dessinent un rectangle… (le poisson pané!) C’est pas gagné :/

  2. 3

    Pouuaaah ! Ignoble !
    Que d’hypocrisie. Je suis effarée devant cette énergie déployée pour arguer la « logique » de l’exploitation animale, et les « bienfaits » sur la nature et l’Homme. Oui on parle si peu des animaux, ils sont renvoyés en outils de propagande, du moins la partie la plus mignonne : les naissances.
    Pfff il y a encore tant de choses à faire, notamment sur le travail de désinformation.
    Allez on y croit 😀

  3. 5

    Il m’a fallu lire les 3/4 de l’article pour sortir de la phase du déni. Je n’arrivais pas à croire que ça soit autre chose qu’un canular… Monde de merde…

  4. 7

    Bonjour,

    Tim Pachirat, l’auteur de Every Twelve Seconds (ethnologie de l’abattoir), travaille actuellement sur un projet de recherche ethnologique sur ce lieu si particulier qu’est Fair Oaks Farm. T. Pachirat a donné une présentation de son projet au MIT au printemps dernier, détaillant sa méthodologie, questions de recherche et premières hypothèses. Cela promet d’être au moins tout aussi passionnant que ces précédents travaux!

    • 8

      Merci Alice pour ton message. Je ne connaissais pas Tim Pachirat, je viens de faire une petite recherche Google sur lui 🙂 Je viens de lire qu’il s’était fait employer dans un abattoir pour son travail de recherche, pas en tant que militant. Par curiosité, sais-tu s’il est végane ou activiste? Bonne journée!

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