Arrêtons de résumer l’élevage français à l’élevage bovin

Voici l’affiche du dernier salon de l’agriculture. On y voit Imminence, une vache Bleue du Nord. L’année précédente, c’était Haute, une vache de race Aubrac. L’année encore d’avant, Fine, une Bretonne Pie-Noir. Chaque année depuis 2009, les affiches changent, mais c’est toujours une vache qui est mise à l’honneur sur l’affiche.

Cet exemple (parmi bien d’autres qu’on trouve dans les médias) illustre une pratique fréquemment utilisée par la filière viande : axer sa communication sur l’élevage bovin et l’ériger comme fierté nationale, invisibilisant par la même occasion les pratiques d’élevages d’autres espèces logées à moins bonne enseigne.

Le but de cet article est donc d’expliquer pourquoi cet élevage bovin n’est pas représentatif de l’élevage français dans son ensemble.

L’image d’Epinal de l’élevage repose principalement sur les vaches

La filière utilise largement l’élevage bovin pour se donner une image de filière responsable et rassurer ainsi les consommateurs et les consommatrices :

  • Au niveau du bien-être animal : on nous inonde d’images bucoliques de vaches en liberté broutant dans les prés. Tout comme on nous parle volontiers des petits éleveurs qui connaissent le nom de leurs vaches et versent une larme lorsque celles-ci partent à l’abattoir (comme c’est émouvant). Et bien qu’il y ait une part de romancé par la pub, il faut aussi reconnaître que les bovins ont globalement accès à l’extérieur et que les élevages bovins sont les moins intensifs. En 2010, un élevage bovin comptait en moyenne 99 animaux, et un élevage laitier 45 vaches. On peut donc effectivement dire que les bovins sont mieux lotis que les autres espèces d’élevage sur ces deux aspects (accès à l’extérieur et densité). Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont la belle vie, j’y reviendrais en fin d’article.
  • Au niveau environnemental : on a ici deux arguments qui reviennent fréquemment. Les fameux « puits de carbonne » que constitueraient les prairies d’une part (les prairies qui stockent du carbone), et le rôle des bovins dans l’entretien de nos paysages d’autre part. Je ne m’étendrais pas ici sur la pertinence de ces arguments (j’en ai déjà brièvement parlé dans cette réponse à un article de l’INRA). Je soulèverais en revanche qu’on n’entend beaucoup moins la filière venter les mérites environnementaux des élevages de poules, poulets ou de porcs.

Tous ces arguments qui reviennent si souvent que j’en viens à penser que l’élevage bovin est l’une des pierres angulaires de la communication de la filière. Oui mais voilà, comme vous pouvez vous en douter, c’est quelque peu trompeur…

80% de l’élevage français est intensif

Ramener systématiquement les arguments pro-élevage à l’élevage bovin est une habile manière de faire oublier que les autres espèces ne jouissent en général pas des mêmes conditions d’élevages. Pour celles-ci, absence d’accès à l’extérieur et fortes concentrations d’animaux sont la norme. De fait, en France, plus de 80% des animaux sont élevés dans des cages ou des bâtiments fermés dont ils ne peuvent sortir. C’est donc ce visage là de l’élevage français qui est plus réaliste.

Malgré pas mal de recherche, je n’ai jamais réussi à trouver le % pour les bovins (si une personne les a, je suis très preneuse de l’info)

Posez-vous ces questions : avez-vous déjà vu des cochons depuis la fenêtre d’un train ? Ou entendu un éleveur dire qu’il connaissait le prénom de tous ses poulets ? Probablement pas puisque 95% des cochons vivent sur caillebotis dans des bâtiments fermés, et que les poulets sont élevés par dizaines de milliers dans des hangars. Il y sont entassés jusqu’à 22 par m² (soit l’équivalent de moins d’une feuille A4 par animal), une promiscuité qui les empêche d’exprimer les comportements naturels de leur espèce (se percher, gratter la terre…)

Enquête L214 dans un élevage de Maître Coq

Mettre ainsi en avant l’élevage bovin pourrait encore se comprendre si la France mangeait en majorité du boeuf. Or ce n’est pas le cas. On consomme environ 85 kilos de viande / an / habitant en France (2016), dont 27% de boeuf (contre 38% de porc et 32% de volaille – en poids).

Si on transpose ces chiffres au nombre d’animaux tués dans les abattoirs français, la proportion de bovins tués pour notre consommation est en fait très faible comparée à celle des oiseaux.

Données : FAOSTAT

Se focaliser sur l’élevage bovin est donc assez malhonnête, puisque ce n’est pas représentatif des conditions de vie de la majorité des animaux d’élevage. L’élevage des poulets (qui représentent à eux seuls 70% des animaux terrestres tués pour notre consommation) serait par exemple un bien meilleur indicateur.

Attention, cela ne signifie absolument pas que je considère qu’on devrait se désintéresser des conditions de vie des bovins, ou que leur vie compte moins. Pas du tout, d’autant qu’il y aurait beaucoup à dire là aussi: 

  • Les élevages intensifs de bovins existent aussi, certains bovins passent donc leur vie en stabulation.
  • Les bovins sont également soumis à des mutilations (l’écornage par exemple).
  • Dans les élevages laitiers, les vaches sont inséminées chaque année et séparées de leurs petits pour produire du lait à destination de la consommation humaine. De plus, la sélection génétique pour produire toujours plus de lait est source de boiteries et d’infections mammaires.
  • Et au final, même si leurs conditions d’élevage sont moins intensives, les bovins finissent eux aussi à l’abattoir très jeunes.

Bref, vous l’aurez compris, l’élevage bovin et ses prairies bucoliques n’est pas représentatif d’un élevage français majoritairement intensif. C’est la partie émergée de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt d’un élevage au visage beaucoup moins séduisant.

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7 Comments

  1. 1

    Merci pour cet article super intéressant qui soulève un point vraiment exaspérant dans la comm’ des agri’ !
    Je me souviens qu’on avait cherché le nombre de bovins vivants dehors … Même la chambre d’agriculture m’avait renvoyée ailleurs, ils n’avaient pas de chiffre. C’est tout de même étrange ><

    Comme quoi, s'ils appuient autant sur les bovins, c'est qu'ils ont tout de même conscience qu'ailleurs, ce n'est pas jojo …

    • 2

      Merci Marion ! Oui je ne les ai jamais trouvés au final. Si je m’en tiens à mes lectures sur le sujet, la plupart des bovins ont un accès à l’exterieur. Mais j’aimeais avoir les stats pour le confirmer quand même ^^

  2. 3
  3. 7

    Merci pour ces précisions et cet article, une fois de plus, de qualité ! C’est vrai qu’on nous montre toujours la belle vache qui a un prénom. C’est un.peu comme quand on dit que les végétariens ne mangent pas de viande sans parler des poissons et autres animaux marins.

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